Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Chute Des Géants: Le Siècle

La Chute Des Géants: Le Siècle

Titel: La Chute Des Géants: Le Siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
Vom Netzwerk:
n’appréciait
guère qu’on lui rappelle le prix humain de ses profits. Le regard que la Princesse Bea
posa sur lui mêlait fascination et répulsion, et il se demanda si elle
n’éprouvait pas quelque attirance perverse pour le sordide et la souffrance. Il
était insolite qu’une dame participe à la visite d’une usine.
    Il fit un signe à Konstantin, qui
arrêta le tour. « Les dimensions de la roue sont ensuite vérifiées avec un
pied à coulisse. » Il brandit l’instrument. « Les mesures des roues
de train doivent être d’une extrême précision. Si le diamètre varie de plus
d’un millimètre et demi – soit à peu près l’épaisseur d’une mine de
crayon –, il faut refondre la roue et la refaire. »
    Fitzherbert demanda en russe, en
cherchant ses mots : « Combien de roues pouvez-vous fabriquer par
jour ?
    — Six ou sept en moyenne, en
tenant compte du rebut. »
    L’Américain Dewar prit alors la
parole : « Quels sont vos horaires de travail ?
    — De six heures du matin à
sept heures du soir, du lundi au samedi. Le dimanche, nous avons le droit
d’aller à l’église. »
    Un garçon d’une huitaine d’années
arriva alors en courant dans l’atelier, poursuivi par une femme qui criait – sa
mère, sans doute. Grigori tendit le bras pour l’attraper et l’empêcher
d’approcher du fourneau. En cherchant à l’éviter, le garçon heurta de plein
fouet la Princesse Bea ; sa tête aux cheveux ras percuta ses côtes,
avec un bruit mat parfaitement audible. La princesse en eut le souffle coupé.
Le garçon s’arrêta, visiblement hébété. Furieuse, la princesse leva le bras et
le frappa au visage si brutalement qu’il bascula sur ses pieds ; Grigori
crut qu’il allait tomber à la renverse. L’Américain prononça quelques mots en
anglais d’un ton abrupt, l’air surpris et indigné. La mère se précipita,
souleva son fils dans ses bras robustes et s’éloigna.
    Kanine, le surveillant, semblait
inquiet. Il craignait les reproches et se tourna vers la princesse : « Votre
Altesse n’est pas blessée au moins ? »
    Malgré une irritation manifeste,
la Princesse Bea prit une profonde inspiration avant de répondre :
« Ce n’est rien. »
    Son mari et le Comte Malakov
s’approchèrent d’elle avec sollicitude. Dewar seul resta à l’écart, le visage
figé dans un masque de désapprobation et de dégoût. La gifle l’avait choqué,
devina Grigori, qui se demanda si tous les Américains avaient le cœur aussi
tendre. Une gifle ? Ce n’était rien. Grigori et son frère avaient reçu des
coups de bâton dans cette même usine quand ils étaient enfants.
    Les visiteurs commencèrent à
s’éloigner. Grigori craignit de laisser passer l’occasion d’interroger le
touriste de Buffalo. Hardiment, il effleura la manche de Dewar. Un aristocrate
russe aurait réagi avec indignation et l’aurait repoussé, sinon frappé pour le
punir de cette insolence, mais l’Américain se tourna vers lui avec un sourire
aimable.
    « Vous êtes de Buffalo,
monsieur, dans l’État de New York ?
    — En effet.
    — Nous mettons de l’argent
de côté, mon frère et moi, pour partir en Amérique. Nous habiterons à Buffalo.
    — Pourquoi avez-vous choisi
cette ville ?
    — Ici, à Saint-Pétersbourg,
il y a une famille qui se charge de nous procurer les papiers nécessaires – il
faut payer, bien sûr – et qui nous promet un travail chez des parents à
eux, à Buffalo.
    — Qui sont ces gens ?
    — Ils s’appellent Vialov. »
Les Vialov se livraient à de nombreuses activités criminelles, mais ils
possédaient aussi des entreprises tout à fait légales. Ce n’étaient pas les
êtres les plus honnêtes du monde, et Grigori tenait à vérifier leurs propos
auprès d’une autre source. « Monsieur, la famille Vialov de Buffalo, dans
l’État de New York, est-elle vraiment riche et importante ?
    — Oui, confirma Dewar. Josef
Vialov emploie plusieurs centaines de personnes dans ses hôtels et ses bars.
    — Merci. » Grigori était
soulagé. « C’est bon à savoir. »
    3.
    Le souvenir le plus ancien de
Grigori remontait à la visite du tsar à Boulovnir. Il avait six ans.
    Depuis des jours, les villageois
ne parlaient que de cela. Tout le monde s’était levé à l’aube, alors qu’on
savait que le tsar prendrait son peut déjeuner avant de se mettre en route et
ne pourrait en aucun cas être là avant le milieu de la matinée. Le

Weitere Kostenlose Bücher