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La Chute Des Géants: Le Siècle

La Chute Des Géants: Le Siècle

Titel: La Chute Des Géants: Le Siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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gueule !
    — Aucune de tes injures ne
peut me rendre plus triste que je ne le suis », lui dit Grigori, mais elle
ne l’écoutait pas. Sourd à ses imprécations, il s’éloigna, sentant sa voix
décroître comme il franchissait le seuil.
    Les cris cessèrent et il entendit
des pas précipités sur le trottoir derrière lui. « Attends ! Je t’en
prie, Grigori, attends, ne m’abandonne pas, excuse-moi. »
    Il se retourna.
    « Grigori, il faut que tu t’occupes
de moi maintenant que Lev n’est plus là. »
    Il secoua la tête. « Tu n’as
pas besoin de moi. Tous les hommes de cette ville se disputeront pour t’aider.
    — Ne crois pas ça. Il y a
une chose que tu ignores. »
    Quoi encore ? se dit
Grigori.
    « Lev ne voulait pas que je
t’en parle.
    — Je t’écoute.
    — J’attends un bébé »,
lâcha-t-elle en fondant en larmes.
    Grigori accusa le coup. C’était
Lev le père, bien entendu. Et il le savait. Il était quand même parti pour l’Amérique.
« Un bébé », répéta-t-il.
    Elle hocha la tête sans cesser de
pleurer.
    L’enfant de son frère. Son neveu
ou sa nièce. Sa famille.
    Il passa les bras autour des
épaules de Katerina et l’attira contre lui. Secouée de sanglots, elle enfouit
son visage dans la veste de Grigori. Il lui caressa les cheveux. « Très
bien. Ne t’inquiète pas. Tout ira bien. Pour toi et pour ton bébé. » Il
soupira. « Je m’occuperai de vous. »
    2.
    La traversée se révéla des plus
éprouvantes, même pour un homme endurci par les taudis de Saint-Pétersbourg. Il
n’y avait qu’une classe sur l’ Ange Gabriel, la troisième, où les
passagers n’étaient pas mieux traités que les marchandises. La saleté régnait
partout, en particulier par gros temps quand tout le monde souffrait du mal de
mer. Les passagers ne pouvaient se plaindre à personne, car les matelots ne
parlaient pas russe. Lev n’aurait su dire de quelle nationalité ils étaient,
mais il ne parvenait à communiquer avec eux ni en anglais ni en allemand, deux
langues dont il ne possédait que des rudiments. Certains disaient qu’ils
étaient hollandais. C’était la première fois que Lev entendait parler de ce
peuple.
    Néanmoins, l’optimisme prévalait
à bord. Lev avait l’impression d’avoir démoli les murs de la prison tsariste et
d’être désormais un homme libre. Il était en route pour l’Amérique, un pays où
la noblesse n’existait pas. Par temps calme, les passagers s’asseyaient sur le
pont et partageaient les histoires qu’on leur avait racontées sur cet eldorado :
l’eau chaude coulant des robinets, les bottes de cuir à un prix accessible même
aux ouvriers, la liberté de pratiquer toutes les religions ou presque, d’adhérer
à tous les partis politiques, d’affirmer toutes les opinions en public, de ne
jamais avoir peur de la police.
    Le soir du dixième jour de
traversée, Lev jouait aux cartes. C’était lui qui distribuait, mais ce n’était
pas lui qui gagnait. Le seul à ne pas perdre était Spiria, un garçon aux yeux
innocents qui voyageait seul, comme lui. « Spiria gagne tous les soirs »,
dit Iakov, un autre joueur. En vérité, Spiria gagnait lorsque c’était Lev qui
donnait.
    Ils traversaient lentement un
banc de brouillard. La mer était calme et on n’entendait que le ronronnement
assourdi des machines. Lev ne savait toujours pas quand ils arriveraient à
destination. Chacun de ceux qu’il interrogeait lui donnait une réponse
différente. Les mieux informés affirmaient que tout dépendrait du temps. Les
membres de l’équipage refusaient de s’avancer.
    Il jeta l’éponge à la tombée de
la nuit. « Je suis lessivé », déclara-t-il. En fait, il avait encore
du fric caché sous sa chemise, mais il voyait bien que les autres étaient
presque à sec, à l’exception de Spiria. « J’arrête. Quand nous serons en
Amérique, je me trouverai une riche rombière et je me ferai une jolie petite
niche dans son palais de marbre. »
    Les autres éclatèrent de rire. « Mais
qui voudrait de toi comme toutou ? lança Iakov.
    — Les vieilles dames ont
froid la nuit. Je lui tiendrai chaud. » La partie s’acheva dans la bonne
humeur et les joueurs se dispersèrent.
    Spiria se dirigea vers la poupe,
où il contempla le sillage du navire qui disparaissait dans la brume. Lev le
rejoignit. « Ma part s’élève à sept roubles », lui dit-il.
    Spiria pécha des billets dans sa
poche et les tendit à

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