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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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empêcherait !
    — C’est pas plus possible, mon pauvre Ernest… Je… J’ai un secret, un terrible
     secret qui m’empêche de me marier.
    — Vous pouvez m’en parler, Léonie. Chus sûr que c’est pas si terrible que
     ça !
    — À vous, Ernest, j’va vous le raconter. J’vous dois ben ça, décida Léonie
     après une brève hésitation. Pis j’sais que j’peux vous faire confiance, que vous
     le répéterez pas. Julianna est pas au courant, s’il fallait qu’elle
     l’apprenne…
    — Venez, marchons un peu, on va être plus à l’aise, proposa-t-il en lui tendant
     la main pour l’aider à se relever.
    — Mon doux Seigneur, par où commencer…
    Ce n’était pas facile pour elle de rouvrir ses anciennes blessures. Ernest
     marchait, les mains dans les poches, et attendait. Son avenir dépendait de ce
     qui allait suivre, il le sentait. Il y avait peut-être des moments pour dire les
     choses, mais il y en avait d’autres pour les écouter.
    — J’me suis jamais ben entendu avec ma mère, reprit Léonie. A me trouvait trop
     tête folle. Aujourd’hui, j’y donne pas tort, mais dansl’temps,
     a me faisait encore plus mal agir, rien qu’à cause de ce qu’a pensait de moé.
     Quand tu passes ton temps à te faire dire que t’es une fille pas mariable, une
     bonne à rien dans la maison, le mouton noir de la famille, ben tu viens à le
     croire, pis tu te comportes en conséquence, si vous comprenez ce que j’veux
     dire ?
    Ernest fit signe que oui.
    — Enfin… Une bonne fois, j’avais à peu près vingt ans, on a eu une moyenne
     chicane toutes les deux, a me disait que vu que j’étais pas plus serviable qu’y
     fallait dans la maison pis que pas un gars voulait de moé comme femme, que
     j’serais mieux de m’en aller.
    Léonie s’interrompit. Puis, elle reprit :
    — J’étais la dernière de la famille pis j’pense que ma mère s’ennuyait… Après
     avoir été habituée à être entourée d’une ribambelle d’enfants, se retrouver
     seule… Y faut dire que le père lui rendait pas la tâche facile, y dépensait le
     peu d’argent qu’y avait dans la boisson pis y travaillait pas fort su’a ferme.
     Tout était à l’abandon. Mais moé, Ernest, j’voulais pas vivre comme ma mère.
     J’me disais qu’y devait y avoir d’autre chose dans la vie, que ça se pouvait
     pas ! J’avais pas envie de faire comme mes sœurs qui avaient quitté la maison
     pour se marier, ou plutôt qui se mariaient pour quitter la maison. La plupart
     avaient trouvé un jeune gars, à l’allure de notre père, pensant plus à fêter et
     à faire des bébés qu’à travailler pendant qu’elles faisaient le lavage et tout
     le bataclan. J’voulais pas le même sort, y en était pas question.
    — Allons, Léonie, les hommes sont pas tous pareils. Moé, chus un gros
     travaillant, j’ai jamais eu peur de peiner à l’ouvrage.
    — J’en doute pas, mon cher Ernest, vous êtes le mari rêvé pour une femme, mais…
     laissez-moé continuer… J’étais jeune dans le temps, j’avais jamais connu d’autre
     homme ou presque que mon père. J’voyais l’avenir ben sombre, ça fait que chus
     partie voir c’qu’y avait ailleurs. J’ai pris les deux robes que j’possédais,
     celle de la semaine pis celle dudimanche, mon manteau d’hiver,
     mes bottines neuves, pis chus partie. J’me suis embarquée dans le train en
     partance pour Roberval. J’voulais me rapprocher de ma sœur préférée. C’était la
     première fois que j’voyais une locomotive pis que j’embarquais dans un train.
     Que j’ai eu peur, vous pouvez pas savoir comment !
    — Les premières fois, c’est ben impressionnant.
    — C’est pas mêlant, j’avais l’impression que la terre allait s’ouvrir en
     dessous de moé pis m’engloutir ! Dans les courbes, j’faisais mon signe de croix
     parce que j’étais sûre qu’on allait se renverser sur le côté !
    Léonie avait besoin de plaisanter un peu avant d’avoir le courage de
     reprendre.
    — Enfin, le train s’est rendu, pis moé aussi. À Roberval, j’me suis réfugiée
     chez les religieuses, elles ont été très gentilles ! Elles m’ont trouvé une
     pension pis un travail au gros hôtel qu’y avait dans le temps. J’sais pas si
     vous l’avez connu, mais maintenant y a passé au feu. C’était un hôtel très
     riche. Si maman m’avait vue travailler fort à faire le ménage des chambres ou
     m’occuper

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