La colère du lac
des enfants des pensionnaires, a l’en serait pas revenue ! J’étais pas
plus avancée. J’allais jamais assez vite au goût des clients pis mon patron
était pas ce qu’il y avait de plus compréhensif. Pas moyen d’être malade, y
fallait se traîner, même agonisante ! J’dois vous ennuyer avec toutes mes
histoires ! Restons-en là, Ernest, voulez-vous ? supplia Léonie.
Il lui reprit les mains et, se plaçant en face d’elle, plongea ses yeux dans
les siens.
— J’veux tout savoir. Si vous en avez pour la nuitte, on va la passer icitte,
mais j’vous laisserai pas repartir sans que vous ayez consenti à m’épouser. J’ai
déjà perdu beaucoup trop d’années… Je…
Il ne put continuer. Elle était là, les grands yeux verts humides, émouvante,
semblant si fragile. Il pencha la tête et l’embrassa passionnément comme l’homme
affamé qu’il était. Léonie partageait lamême faim. Elle moula
son corps à celui de l’homme, si chaud, si fort…
— Oh ! Ernest, non ! gémit-elle en s’arrachant à l’étreinte.
— Léonie… supplia-t-il cherchant à la reprendre, Léonie…
— Non, Ernest, y faut que vous sachiez.
Elle se remit à marcher.
— Un jour, j’faisais le lit d’une chambre quand le client est rentré chercher
quelque chose. Y s’appelait John. C’était un riche Américain qui faisait des
affaires à Montréal pis qui était venu en voyage de pêche au Lac-Saint-Jean. Y
avait des yeux magnifiques. Y m’avait donné un de ces pourboires ce jour-là.
Ensuite, y a pas cessé de m’suivre. Partout où j’allais, j’le rencontrais sur
mon chemin. Y m’a fait une cour assidue, y m’offrait des cadeaux comme jamais
j’en avais reçus. Un matin, y est reparti pour Montréal. J’ai eu le cœur
déchiré. Amoureuse, j’étais follement amoureuse de lui. J’pleurais toutes les
nuits dans ma p’tite chambre de servante, en croyant jamais le revoir. Y est
revenu, avec une bague pis une demande en mariage ! Pis là on s’est fiancés en
cachette. Y voulait pas que personne le sache tusuite. Y avait inventé une
histoire que parce qu’y était Américain on le renverrait dans son pays… En
prévision de notre mariage, y avait acheté une p’tite maison isolée à l’entrée
du village. Y disait qu’y voulait pas m’imaginer dans ma minable petite chambre
quand y serait à Montréal où son travail l’appelait constamment. Quand j’lui ai
demandé pourquoi on s’installait pas là-bas, y m’a répondu qu’y cherchait la
maison idéale pis qu’on y déménagerait dès notre mariage. Comme y adorait venir
en vacances par icitte, y garderait, de toute façon, la p’tite maison de
Roberval où j’allais vivre en attendant. Pis pas question que sa future épouse
travaille ! J’ai vécu ainsi pendant sept ans. Sept ans à attendre ses visites, à
attendre une date de mariage toujours reportée. Quand y venait, y descendait pus
à l’hôtel, y s’installait chez lui. Pis j’ai accepté… malgré ce
que les gens disaient, malgré la désapprobation de ma sœur Anna… Vous comprenez,
je… j’ai partagé son lit, sans être mariée… J’vivais juste par lui, juste pour
lui. J’étais heureuse, Ernest. Y m’apportait de ces robes, toutes plus
magnifiques les unes que les autres. Y m’appelait sa belle du lac, y m’offrait
des bijoux, des colliers, des broches, des bracelets, mais jamais j’ai vu une
bague de mariage. Y m’expliquait toujours que son avocat s’occupait du contrat
de mariage, que c’était ben compliqué, que parce qu’y était pas Canadien… des
mensonges… Un jour, j’ai compris pourquoi. J’ai mis la main sur une lettre
d’amour que sa femme avait glissée dans ses bagages pour lui faire une surprise
j’suppose, pis comme j’avais pris l’habitude de m’occuper de ranger ses
vêtements, c’est moé qui l’ai trouvée. P’t-être que John pensait que j’pouvais
pas lire l’anglais, mais en tout cas, j’y ai mise sous le nez. Y a tout avoué,
comme si y était soulagé que j’sache enfin la vérité. Y a essayé de m’expliquer,
de m’parler… Y m’a juré qu’y m’aimait, que sa femme c’était un mariage arrangé,
qu’y l’avait mariée pour sa fortune, une question d’argent pis d’alliance entre
deux grosses familles. Mais j’étais furieuse pis j’ai rien voulu entendre. Y est
parti. J’me
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