La colère du lac
fées.
De toute façon, je suis presque fiancée… lança-t-elle pour le provoquer.
— Fiancée ! répéta François-Xavier, estomaqué en se reculant comme pour
s’éloigner d’un danger.
— Oui, avec monsieur Henry Vissers junior.
François-Xavier devint furieux. Il ne quémanderait pas une seconde de plus son
affection. Il s’était déjà assez fait rejeter dans sa vie ! Cela lui avait tout
pris pour oser lui avouer honnêtement ses sentiments et tout ça pour quoi ? Pour
apprendre qu’elle était promise à un autre ! L’amour lui avait fait prendre le
risque de se faire blesser et cela ne l’avait pas raté. Il ne serait pas à la
veille de recommencer. Qu’elle aille au diable !
— Hé ben, vous direz à votre presque fiancé, ragea François-Xavier, qu’un jour
j’vous ai presque embrassée pis que je l’ai échappé belle en torrieu de marier
une sorcière ! Voici vos souliers, mademoiselle Gagné, dit-il en laissant tomber
les chaussures d’un bruit sourd sur le sable. Dépêchez-vous de les remettre,
ajouta-t-il sourdement, pis allez-vous-en. Vous êtes sur une propriété privée
icitte.
Et François-Xavier disparut en longues enjambées par où il était apparu.
Il était parti, il n’était plus là ! Mais pour qui se prenait-il pour oser la
chasser ainsi ! À quoi s’attendait-il ? À ce qu’elle lui tombe dans les bras,
comme ça, lors de leur premier tête à tête ? Il aurait pu insister, rejeter
l’histoire du fiancé du revers de la main, se battre pour l’avoir, l’enlever
dans ses bras, l’embrasser de force… « C’est ça, va-t-en François-Xavier
Rousseau, pis bon débarras ! C’est moé qui l’a échappé belle d’aimer une moitié
d’homme, un faible, qui fuit devant la première petite difficulté. C’est la
preuve que tu m’aimes pas vraiment. Henry te vaut cent fois ! C’est lui que je
vais épouser, pas toé, pis tu t’en mordras les doigts, tu verras. Pis je vais
revenir sur la Pointe,pendue au bras de mon nouveau mari pis tu
vas être vert de jalousie. Pis je te déteste François-Xavier Rousseau ! »
Julianna ramassa un de ses souliers et de rage le lança de toutes ses forces
vers où le jeune homme avait disparu. Puis Julianna tomba à genoux sur la grève
et mêla sa déception aux grains de sable.
Pendant ce temps, Ernest faisait lui aussi la cour à la belle Léonie.
— J’peux vous appeler par votre p’tit nom, Léonie ?
Celle-ci partit à rire :
— Ça fait longtemps que c’est fait dans nos lettres. Après tout, vous faites
comme partie de la famille.
— J’aimerais vraiment en faire partie, Léonie, dit Ernest en lui prenant les
mains.
— Ernest, que c’est que vous racontez là ? demanda Léonie en jetant un coup
d’œil à Ti-Georges, qui ronflait au loin sous l’ombre de l’arbre.
— Si vous vouliez, mon champ de framboises pourrait être le vôtre pis tout le
reste aussi…
— Oh Ernest, non, gâchez rien… C’est impossible, pensez-y pas. Ernest, j’vous
en prie !
— Pourquoi ? J’me déclare trop vite ? Mais on est pus des jeunots ! J’sais ben
que vous êtes une femme riche pis qu’y a votre magasin à Montréal… mais…
— Non, c’est pas ça, le magasin a pus besoin de moé, j’ai décidé de prendre ma
retraite… non c’est pas ça… mais, j’veux pas m’marier !
— J’serais un bon mari, insista Ernest. Chus honnête, j’bois pas, mon seul
p’tit défaut est de fumer la pipe, mais si l’odeur du tabac vous dérange,
j’pourrais…
— Non, mon bon Ernest, non, c’est pas la pipe… l’interrompit
Léonie. J’peux pas me marier, chus désolée.
Et elle l’était vraiment. Qu’il eut été merveilleux de se laisser aller à cette
douce folie, de ne pas se compliquer la vie et de dire oui !
— J’le sais ben que j’aurais dû vous le demander ben avant… On a encore de
belles années devant nous autres, Léonie, insista Ernest. Y me semble que ce
serait bon de vieillir à deux… Y me semble qu’on s’entendrait ben, vous pis moé.
Depuis la première fois que j’vous ai vue, j’ai trouvé que vous étiez une belle
créature en baptême mais avec ma femme malade, j’pouvais pas… pis après, vous
étiez si loin… mais astheure, chus libre comme vous, j’ai élevé mon fils, vous
avez élevé Julianna, pus rien nous
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