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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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véhémence.
    — Cesse immédiatement de crier, ma fille ! Comment oses-tu élever le ton devant
     moi !
    — Où est Patrick ? J’veux le voir ! défia la jeune fille, debout de nouveau,
     regardant nerveusement vers la porte comme si son amoureux allait
     apparaître.
    Pourquoi n’arrivait-il pas ? Pourquoi ne venait-il pas dans le salon, la
     prendre dans ses bras et l’emmener loin ? Loin de ce curé qui la rejoignait, qui
     la regardait comme une pestiférée, qui n’ouvrait la bouche que pour dire des
     énormités, énormités qu’elle ne voulait plus entendre…
    — Cela va être bien dur, à moins qu’en plus d’être impertinente avec ton curé,
     tu saches aussi nager, ma fille.
    — Nager ?
    — Oui nager, car lorsque j’ai rencontré ton cher matelot hier, il criait haut
     et fort qu’il s’embarquait sur le premier bateau en partance.
    — Patrick, parti ? Vous mentez !
    — Oh, tu dépasses les bornes ! Le curé s’étouffa d’indignation.
    — Vous mentez ! Vous mentez ! aboya-t-elle.
    — Joséphine Mailloux ! Rassieds-toi tout de suite !
    — Non ! Patrick doit m’attendre au quai. J’m’en va le retrouver, déclara-t-elle
     en sortant du salon.
    D’un geste brusque, Joséphine repoussa la servante qui malgré elle lui barrait
     le passage et, sans un regard pour le curé, s’enfuit du presbytère. Le curé la
     suivit en lui criant :
    — C’est ça, cours, cours ma fille, tu vas voir qui était le menteur. Et je
     t’attends à la confesse ce soir, tu m’entends, Joséphine Mailloux ? À la
     confesse ce soir ou j’irai te chercher par les oreilles !
    Mais il avait beau s’époumoner, sous le porche de sa maison, la jeune fille ne
     se retourna même pas.
    — Elle le regrettera, maugréa-t-il, songeur, tout en la regardant courir à sa
     déconvenue.
    « Bon, c’est assez de se donner en spectacle en public » se dit-il en revenant
     à l’intérieur du presbytère.
    — Qu’est-ce que tu fais là, toi ? dit-il devant sa servante dont il n’avait pas
     remarqué la présence dans tout ce tumulte.
    — Ben, j’enlève la poussière c’t’affaire ! ironisa-t-elle en lui mettant le
     plumeau sous le nez.
    — Bon, bon donne-moi mon chapeau, je sors pour le reste de la matinée.
    — Oui m’sieur le curé. Euh… Avec votre permission, moé, j’va en profiter pour
     aller faire quelques commissions… J’ai ben du reprisage à faire pis j’ai peur de
     manquer de fil… ouais du fil noir qu’y me faudrait.

    — Maudit Patrick O’Connor, j’t’haïs ! Tu m’entends, j’t’haïs,
     j’t’haïs… ah !!! gronda Joséphine.
    Une si grande douleur ne pouvait pas exister, c’était impossible. Pourtant,
     durant les neuf derniers mois, elle n’avait été que souffrance. Elle aurait dû
     être immunisée, endurcie. Mais… Ah ! encore une ! Au fil des mois, son cœur et
     son ventre étaient devenus de pierre, alors pourquoi cela faisait si mal ! « Mon
     Dieu, est-ce que c’est normal ? Maman, vous qui êtes au ciel, aidez-moé j’vous
     en supplie, aidez-moé ! Venez m’chercher, oh oui, venez m’chercher… ça fait mal,
     maman… pis chus toute seule… pis j’en veux pas, de ce bébé… Venez nous chercher,
     tous les deux, venez maman, j’vous en supplie ! »
    Joséphine roula la tête de gauche à droite sur l’oreiller. Elle n’avait pas
     allumé et elle gisait, souffrante, dans le noir, en plein travail depuis des
     heures, sur le lit même où ce bébé avait été conçu. Malgré elle, les souvenirs
     refirent surface. Elle qui les avait enfouis au plus profond d’elle-même dut se
     résigner à les revivre encore une fois, la douleur annihilant toute
     volonté.
    Elle se revit, dévalant la côte jusqu’au port, les paroles du curé la
     poursuivant. Tout le long de sa course, elle avait prié au rythme de ses pas.
     « Sainte Marie, Mère de Dieu, faites qu’y soit pas parti, Sainte Marie, Mère de
     Dieu, faites qu’y soit pas parti, Sainte Marie… » Elle avait eu beau parcourir,
     dans tous les sens, les installations portuaires, aucune trace de son amoureux.
     C’était un ouvrier du port qui avait mis fin à sa recherche. L’ayant remarquée
     et la voyant bouleversée, il s’était permis de lui proposer son aide. La même
     qu’il avait offerte la veille à un jeune homme à l’accent étranger qui cherchait
     du travail sur le premier bateau à lever l’ancre.

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