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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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le garder… Elle serait bannie et ne pourrait
     subvenir à ses besoins… Oh, comment se résoudre à se séparer de lui ?
     Tristement, elle dirigea son regard vers la lucarne et, mentalement, fit le
     chemin qui menait jusqu’à l’Hôtel-Dieu, l’hôpital… l’orphelinat… Elle se
     cacherait, passerait par la porte arrière… Elle qui, innocemment, avait cru ce
     jour être la fin de ses souffrances, sut, au plus profond d’elle-même, qu’au
     contraire, il en marquait le début et que la peine d’amour et les douleurs de
     l’enfantement qu’elle avait endurées ne seraient rien, non rien, à côté de ce
     qui l’attendait.

    — Qui c’est qui veut que j’raconte une belle histoire ? demanda Joséphine à la
     ribambelle d’enfants qui l’entouraient, sachant à l’avance la réponse
     enthousiaste et unanime qui ne manquerait pas de saluer cette proposition.
    Les mains sur les hanches, elle sourit en voyant tous ces petits garnements
     courir d’un bout à l’autre de la grande salle commune pour venir la retrouver.
     « Quelle bande de chenapans » se dit-elle en prenant place dans son fauteuil
     berçant. Combien de fois leur avait-elle dit de ne pas se chamailler ainsi !
     Mais non, c’était toujours à qui serait assis le plus en avant, le plus près
     d’elle. S’ils avaient pu lui grimper sur la tête, au lieu de s’installer par
     terre en demi-cercle, les jambes repliées à la manière indienne, ils l’auraient
     fait.
    Comme elle était heureuse ! Voilà plus d’un an qu’elle travaillait à
     l’orphelinat et elle bénissait chaque jour passé depuis ce temps. Elle avait
     retrouvé son fils et peu importait qu’il ne sache pas la vérité, elle pouvait au
     moins le voir grandir et en prendre soin. Oh, cela n’avait pas été facile, se
     rappela-t-elle, alors que les souvenirs de trois années d’enfer remontaient à sa
     mémoire. Trois longues années, à s’occuperde son père et à ne
     cesser de penser au précieux trésor qu’elle avait dû se résigner à abandonner
     quelques heures à peine après sa venue au monde. Elle se revit, profitant de
     l’obscurité, affaiblie par son accouchement, se rendre en cachette à
     l’orphelinat, passant discrètement par les champs, contournant les habitations,
     marchant difficilement dans les sillons de neige et de terre mélangées, tenant
     son enfant fermement contre son sein. Elle avait enfilé un long manteau gris
     sous lequel son fils dormait à poings fermés, à la chaleur, inconscient de
     l’infini courage dont sa mère faisait preuve. À bout de forces, Joséphine était
     parvenue en vue de la bâtisse des religieuses. Après une brève hésitation et
     après s’être assurée que l’endroit était désert, elle avait délicatement déposé
     son nouveau-né, emmailloté dans un châle, sur le seuil de la porte cochère de
     l’Hôtel-Dieu (là où les miséreux et les quêteux pouvaient frapper à n’importe
     quelle heure et être certains d’avoir une réponse). À genoux près de son bébé
     dont elle n’avait pas relâché l’étreinte, la jeune femme avait déposé un long et
     doux baiser sur le front de celui-ci comme pour y tatouer son amour et y laisser
     la marque indélébile de son appartenance. Puis avec l’esprit de sacrifice que
     seule une mère peut démontrer, Joséphine s’était relevée prestement et sans
     hésitation avait fait sonner la cloche d’entrée avant d’aller rapidement se
     cacher dans un recoin sombre de la bâtisse. Longtemps, elle avait sangloté, à
     moitié accroupie dans l’embrasure, tandis qu’une religieuse désabusée avait pris
     tout son temps pour ramasser ce colis échappé par une cigogne
     incompétente.
    Au milieu de l’été, monsieur Mailloux était revenu du bas du fleuve. Au premier
     coup d’œil lancé à sa fille, le père avait perçu le changement. Joséphine avait
     énormément maigri mais surtout, son regard recelait une nouvelle expression.
     C’était elle qui lui avait adressé la parole en premier, lui souhaitant la
     bienvenue, poliment, sans animosité ni joie.
    — Bonjour son père, l’avait-elle salué. Vous voulez une tasse de
     thé ou y fait trop chaud ?
    Le vieil homme s’était installé à la table, perplexe, et avait accepté
     l’offre.
    — Tout le monde sait qu’y faut combattre le feu par le feu, ma fille.
    Joséphine avait pris la bouilloire déjà remplie d’eau et était

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