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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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où son gendre avait hérité de la terre paternelle, il
     avait sauté sur l’occasion et n’avait eu aucun remords à laisser Joséphine
     derrière lui. Il avait appris qu’avec les femmes, mieux valait laisser couler
     l’eau sous les ponts…
    C’est ainsi que, sans même avoir planifié quoi que ce soit, le
     destin ou la providence l’avait fait se retrouver fin seule dans la maison le
     2 avril 1900 lorsqu’elle avait crevé ses eaux. Un linge à vaisselle sur
     l’épaule, elle se préparait à essuyer la tasse et l’assiette qu’elle venait
     négligemment de laver. Longtemps elle était restée immobile, laissant
     l’écoulement suivre son chemin naturel le long de ses jambes. Puis, d’un air
     détaché, elle avait déposé la serviette sur le dossier d’une chaise de la
     cuisine et lentement, mais résolument, avait gravi les marches de pin menant à
     sa chambre. Sans hâte, avec des gestes mécaniques, elle s’était déshabillée et
     étendue sur son lit, nue, se recouvrant d’un simple drap. Elle avait croisé les
     mains et fermé les yeux. Dans son linceul, elle était prête à accueillir sa
     délivrance. Elle croyait fermement que si elle ne faisait aucun effort pour
     l’expulsion du bébé, celui-ci mourrait, là dans son ventre, l’entraînant avec
     lui dans la mort, enfin…
    La douleur sourde qui lui tiraillait les reins depuis le matin explosa soudain
     en une violence inouïe. Elle serra les dents. Puisqu’elle avait ignoré les
     nausées du début et plus tard les coups de pied qui la frappaient de
     l’intérieur, elle réussirait également à ne pas réagir à cette nouvelle
     torture.
    — Ah ! que j’t’haïs ! hurla Joséphine sous l’effet d’une contraction qui lui
     déchirait les entrailles. Maman, j’vous en prie, exaucez ma prière, faites que
     ça achève… Oh maman… sanglota-t-elle doucement, tandis que la vague de douleur
     refoulait enfin.
    Trempée de sueur, épuisée, elle réalisa soudain que c’était la première fois
     qu’elle pleurait depuis très longtemps… très très longtemps. Elle n’eut pas le
     temps de penser plus longuement, le mal revenait, plus fort encore. Cette fois,
     de son poing gauche, sans s’en rendre compte, elle tordit un bout de son drap
     tandis que du droit elle martelait de petits coups secs le matelas de son lit.
     Elle n’avait presque plus aucun répit. Tout à coup, une irrésistible envie de
     pousser la prit. Elle ne pouvait faireautrement… Une fois de
     plus, son corps la trahissait et faisait fi de sa volonté qu’il réduisait en
     miettes. De ses deux mains, elle empoigna les barres de métal de son lit, ramena
     les genoux vers elle, et força, força, bloquant sa respiration… son visage
     devenait tout rouge. Une fois…
    — Ça fait mal… ça fait mal, se lamenta-t-elle.
    Une deuxième fois.
    — Maman, maman…
    Une troisième poussée. Et là, une chose gluante fusa entre ses cuisses,
     rapidement, trop facilement par rapport à l’étroitesse du passage. Joséphine
     haleta et reprit son souffle, les yeux tournés vers le plafond. Puis, lentement,
     elle descendit ses mains vers le bas de son ventre. Rien ne bougeait… Elle se
     souleva sur ses coudes et essaya de discerner le minuscule être gisant entre ses
     jambes. Un imperceptible miaulement, une légère plainte s’en échappa. Hésitante,
     maladroite, la nouvelle mère souleva son enfant. Tout à coup, une seule chose
     importa, que ce nouveau-né vive. Joséphine ne pensa plus. Paniquée, craignant
     que son bébé ne meure, elle se mit à le frictionner vigoureusement. Avec le
     drap, elle essuya sans ménagement le petit visage, dégageant le plus possible le
     nez et la bouche du liquide gluant qui les obstruait.
    — Allez, respire, respire ! implora-t-elle.
    Il ne fallait pas que son bébé meure, non, pitié ! Celui-ci laissa enfin sortir
     le pleur primal. Soulagée, Joséphine éclata en sanglots. Puis,
     précautionneusement, elle détailla son nouveau-né éclairé par un rayon de lune
     qui passait par la lucarne. Émue, elle réalisa qu’elle venait de donner
     naissance à un garçon. Le plus beau petit garçon du monde entier, et que déjà…
     malgré elle… malgré tout… enfin, elle l’aimait, oui pas de doute, elle l’aimait.
     Elle éclata d’un grand rire nerveux. Amoureusement, elle colla son fils sur son
     cœur.
    — Mon bébé, mon p’tit bébé à moé…
    Elle ne pouvait

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