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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Petite, Joséphine avait reçu
     un coup de sabot au ventre de la part d’un cheval. Les paroles de l’homme lui
     avaient fait lemême effet que la ruade. Quelques secondes, son
     cœur avait cessé de battre, elle avait perdu le souffle et était devenue tout
     étourdie. Mais aucun doute, il s’agissait de Patrick. La description,
     l’habillement… Il s’était embarqué à l’aube. Il était parti, il l’avait quittée…
     De ses mains, elle avait exercé une pression sur sa poitrine puis d’une voix
     éteinte, elle avait réussi à remercier l’homme pour le renseignement. Elle ne
     sut comment elle avait trouvé la force de s’en retourner chez elle où son père
     et le curé l’attendaient. Elle les avait fixés, l’un et l’autre, attablés, de
     connivence… Ah ! leurs regards vainqueurs… Ils avaient convenu de l’admonester
     comme il se devait. Le curé avec un bon sermon sur le respect chrétien, le père
     sur le devoir familial. Mais à la vue de la jeune fille livide et du regard
     froid et lointain qu’elle leur avait envoyé, ils n’avaient pu que la suivre des
     yeux lorsque, sans un mot, elle s’était décidée à gagner sa chambre. Depuis ce
     jour, elle n’avait plus adressé la parole ni à l’un ni à l’autre. Au début, elle
     avait conservé l’espoir de recevoir des nouvelles de Patrick, une lettre ou un
     retour… Mais au fil des semaines, elle s’était emmurée dans une profonde
     dépression. Elle ne mangeait presque plus et ne faisait que le nécessaire dans
     la maison. Son père ne pouvait pas vraiment se plaindre d’être mal soigné sauf
     que dès sa besogne terminée, elle se retirait en haut dans sa chambre. Elle ne
     pleurait pas, elle restait là, assise dans sa chaise, près de la fenêtre,
     immobile. Au village, elle faisait ses courses juste quand cela était vraiment
     nécessaire et restait imperméable aux commérages qui fusaient autour d’elle.
     Elle ne savait pas comment cela se faisait, mais tout le comté semblait au
     courant de sa mésaventure. Elle ne s’en était pas fait. Elle était habituée aux
     commentaires des autres. Elle et ses sœurs avaient toujours été tenues un peu à
     l’écart. Leur grand-mère maternelle, une pure Indienne, n’avait pas seulement
     légué à ses descendantes ses beaux cheveux noirs, mais également l’impardonnable
     faute d’être différentes. On tolérait leur père parce que celui-ci, avecson magasin, avait été prospère et quasi indispensable.
     Joséphine n’avait donc jamais vraiment eu d’ami et s’était habituée à vivre
     repliée sur elle-même. Même avec ses sœurs, elle gardait ses distances. Elle
     avait dû être un substitut de mère si jeune, il n’y avait pas eu de place pour
     les jeux et les confidences. Quand elle s’était rendu compte qu’elle était
     enceinte, elle en avait été presque indifférente. Grâce à son embonpoint,
     personne ne discernait sa honteuse condition. L’hiver avait passé, son ventre
     caché sous son épais manteau. Elle n’avait pas essayé de tuer la preuve de son
     péché. Elle savait comment faire. Elle aurait pu essayer le vinaigre ou la
     broche à tricoter. Mais à quoi bon ? De toute façon, elle était morte elle-même,
     c’était seulement son corps qui continuait à fonctionner, malgré elle. Un matin
     viendrait bien où lui aussi abandonnerait la partie… et tout serait réglé…
    Pendant l’été, le curé avait essayé, à quelques reprises, de venir la sortir de
     sa torpeur, mais à chaque visite, il s’était buté à son impassibilité et comme
     il avait d’autres chats à fouetter que les états d’âme d’une jeune idiote, il
     s’était désintéressé de son cas. De toute façon, avec le sang de sauvage coulant
     dans ses veines, Joséphine était d’avance une brebis galeuse et nul ne pouvait
     blâmer le curé de l’abandonner à son triste sort. Le voisinage avait oublié
     rapidement cette histoire de marin et avait préféré se délecter des détails
     croustillants à propos du jeune Duchesne qu’on avait surpris, disait-on, avec
     une femme mariée ! Au printemps, le père Mailloux, n’en pouvant plus du silence
     pesant de Joséphine, avait accepté avec gratitude l’offre d’une de ses filles
     d’aller passer quelques mois chez elle. Jamais il n’aurait cru cela possible !
     Lorsqu’il avait reçu l’invitation de faire le voyage jusqu’à
     Saint-Jean-Port-Joli,

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