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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Après un moment, l’homme s’adressa à sa
     femme :
    — Oh, Rose-Élise, j’voulais t’dire, j’crois que notre François-Xavier,
     commença-t-il en insistant fortement sur le prénom et en décochant un clin d’œil
     complice à son fils, oui, ben j’crois qu’il aime ben notre p’tit coin de
     paradis !
    Rose-Élise arrêta sec de marcher et, les mains sur les hanches, rétorqua à son
     mari :
    — Tu parles d’un paradis, persifla-t-elle.
    Ernest arrêta l’attelage et se retourna, surpris de la colère de sa
     femme.
    — On pourra pas aller nulle part sans avoir à traverser ce maudit grand lac ou
     ben la rivière, continua sa femme. Rien que pour aller àmesse, y
     va falloir prendre le bac pour se rendre à Péribonka. Même pas foutu d’avoir une
     église. C’est pas un p’tit paradis icitte, icitte c’est la misère noire !
     J’aurais mieux fait de pas te suivre, ni de prendre cet embarras-là avec nous
     autres, en plus ! acheva-t-elle en désignant du menton le petit François.
    Sidéré, Ernest resta immobile devant cet éclat et la méchanceté des paroles.
     Son fils descendit prestement du chariot et vint mettre sa main dans la
     sienne.
    Ce geste ne fit que renforcer la haine de Rose-Élise.
    — Oh envoye ! s’impatienta-t-elle, en donnant un coup de pied sur une des roues
     de bois de la charrette, j’ai pas envie de mourir icitte, envoye, avance !
     cria-t-elle à son époux.
    « Mais quelle mouche l’a piquée ? » se demanda Ernest tout en obéissant. Ça
     devait être à cause de ses maux de tête. Pourquoi la vie était-elle si
     compliquée ? Baptême de baptême, pas moyen d’être heureux, juste un petit
     peu…
    Il serra la main de son fils, comme pour lui dire : « T’en fais pas, chus là »
     et pour se réconforter lui aussi, s’accrocher à un peu de tendresse, pour ne pas
     se sentir seul, pour ne pas pleurer…
    — Viens, mon bonhomme, notre chez-nous nous attend, murmura-t-il.

    Au fil des mois qui suivirent, François-Xavier s’habitua à son deuxième prénom.
     Les grandes journées, passées à l’extérieur, avaient chatoyé ses cheveux de
     reflets encore plus rouges et avaient renforcé sa santé. Comme un petit chiot,
     il suivait Ernest à la trace. Habitué à l’horaire rigide de l’orphelinat, il se
     levait aisément à l’aube et accompagnait son père à l’étable. D’ordinaire, il se
     contentait de balayer l’allée tandis qu’Ernest trayait la vache. Mais,
     quelquefois, il s’essayait à prendre unpis dans sa main et à en
     extraire du lait sous l’œil amusé de son père. Le train fini, c’est affamés
     qu’ils retournaient à la maison dans l’espoir d’un bon déjeuner. Mais, ces
     dernières semaines, c’était plus souvent qu’autrement Ernest qui le préparait,
     seul, à son retour, Rose-Élise restant couchée de plus en plus tard le matin.
     Ses migraines la clouaient au lit. Ce dont ne se plaignait pas François-Xavier.
     Autant il adorait son père adoptif, autant il détestait sa mère. Les rideaux de
     la fenêtre de sa chambre fermés, les seuls de la maison qu’elle ait
     confectionnés en fin de compte, Rose-Élise passait des heures, seule, sans rien
     faire. Ernest l’avait emmenée voir le docteur, mais celui-ci n’avait rien décelé
     si ce n’est qu’elle se laissait aller et qu’une femme de son âge devait cesser
     de faire des caprices et mieux prendre soin de sa maisonnée. Ernest ne savait
     plus quoi penser. Un jour, elle faisait irruption dans la cuisine, bien coiffée,
     sa belle robe du dimanche sur le dos, souriante, lui offrant de lui préparer de
     bonnes patates fricassées ou sa tarte préférée. Un autre, c’était une échevelée
     qui surgissait dans son éternelle robe noire, sale, un accroc dans le bas de la
     jupe. D’une humeur massacrante, elle se plaignait de tout et de rien.
    — Comment ça se fait qu’y a pus de p’tit bois pour allumer le poêle ? T’es trop
     fainéant pour t’en occuper, Ernest Rousseau ? C’est toujours moé qui est prise
     pour tout faire icitte dedans ! se plaignait-elle.
    Ou encore :
    — On pourrait avoir une plus belle maison, non ? Y me semble que j’mériterais
     ben un peu de luxe dans ma chienne de vie ! Si t’allais travailler dans les
     chantiers cet hiver, comme tout le monde, tu pourrais ramener un peu de piastres
     pour faire changement, mais non, monsieur a décidé qu’il aurait une

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