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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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ta mère pis moé, avant, on a eu des p’tits enfants,
     comme toé… Mais… Y ont tous été malades en bas âge, pis le Bon Dieu est venu les
     chercher les uns après les autres. Notre p’tit dernier, y s’appelait Xavier…
     C’est le seul qui s’est rendu jusqu’à trois ans. On pensait ben le réchapper
     celui-là…. Mais le Bon Dieu en a voulu aussi… Rose-Élise a pas eu la vie facile…
     Des épreuves comme celles-là, ça rend une créature malade… Y faut la comprendre,
     y faut être patient avec elle. C’est ma femme, pour le meilleur pis pour le
     pire.
    Ernest réalisa qu’il ne s’adressait plus vraiment à l’enfant. Il reprit :
    — J’ai tout quitté pour venir m’installer icitte. J’me suis dit que ça lui
     changerait les idées, qu’y nous fallait un nouveau départ. C’est pour ça qu’on
     est allé te chercher à l’orphelinat. On peut pas rester sans descendance, c’est
     pas bon pour un homme. J’ai besoin d’un fils pour m’aider à la fromagerie, pour
     prendre la relève plus tard, pis assurer nos vieux jours. On travaille fort chez
     les Rousseau, mais on est toujoursrécompensé de ses efforts,
     toujours. Quand tu vas être en âge d’aller à l’école, tu vas y aller. J’veux que
     mon fils sache lire pis écrire ! On a beau dire, l’instruction c’est important.
     Hé baptême, y faut que j’arrête de radoter… dit-il d’un air découragé. Pour ce
     qui est de ton nom, reprit-il, ben, j’ai pensé qu’on pourrait t’appeler
     François-Xavier. François-Xavier Rousseau… Moé j’trouve que ça fait un beau nom
     d’homme, pas toé ?
    François resta muet.
    Ernest lui caressa affectueusement la tête. Il voulut de nouveau tirer sur sa
     pipe, mais celle-ci s’était éteinte. Il avait trop parlé… « Ernest Rousseau,
     t’es juste un vieux fou, se dit-il. Cet enfant est ben trop jeunot pour
     comprendre ces choses-là. T’aurais mieux fait de te taire au lieu de lui
     mélanger les idées de même. T’as jamais su dire les choses importantes… » Ernest
     se maudissait ainsi, tout en resserrant sa précieuse pipe dans sa pochette de
     cuir après l’avoir secouée doucement sur sa cuisse pour la vider. Il se releva,
     époussetant son pantalon des traces de tabac noirci.
    — Bon, c’est assez la paresse. Allez bonhomme, on repart.
    Il s’apprêtait à retourner au cheval quand François l’interpella :
    — J’veux ben pour mon nouveau nom. François-Xavier Rousseau, ça va être
     correct.
    L’homme et l’enfant se regardèrent droit dans les yeux. Ému, l’aîné scruta
     l’air important et sérieux que le plus jeune se donnait. Ernest hocha la tête
     d’étonnement.
    — Hé ben baptême, tu sais que t’es vraiment un drôle de p’tit bonhomme, toé !
     Tu veux que j’te dise ? Tu vas faire le fiston du siècle !
    Il éclata de rire, imité bientôt par François qu’Ernest avait soulevé par les
     aisselles afin de le faire tournoyer dans les airs. Leur agitation attira
     l’attention de Rose-Élise. Se redressant, elle mit sa main en visière et observa
     la scène. Son mari tenait l’adopté à bout de bras etsemblait le
     présenter en offrande au ciel. En équilibre précaire, le petit garçon exultait.
     Avec elle, l’enfant ne parlait pas, il ne s’était pas jeté dans ses bras, il ne
     lui souriait pas à elle… Chaque fois qu’elle l’approchait, elle le sentait
     reculer. Ce n’était pas son Xavier, oh non ! Xavier était mort… les autres
     aussi… tous, tous morts… Et Ernest qui s’amusait avec celui-là comme si de rien
     n’était, comme s’il les avait oubliés, comme s’il ne souffrait plus, lui… Ce
     n’était pas juste… pas juste. Le père cessa les jeux et cala son fils sur ses
     épaules. Souriant, il s’adressa à son épouse :
    — Ç’a l’air d’aller mieux, ma femme. Allons-y, j’ai hâte que tu voies la
     maison, lui dit-il en déposant l’enfant sur le dessus de la charrette. Plus
     tard, on retournera acheter du tissu pour faire des rideaux, ajouta-t-il en
     détachant son cheval. Tu les choisiras à ton goût, comme de raison. Quant à toé,
     mon bonhomme, j’m’en va te faire un bon lit de bois pas plus tard que cette
     semaine. Tout le monde est paré ? Bon, allons-y, baptême, qu’on arrive au plus
     sacrant !
    Et, tout en sifflant, Ernest reprit la route. Rose-Élise traînait toujours de
     la patte derrière le chargement.

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