La colère du lac
commode etrevint retirer d’un coup sec la couverture et dévoiler ainsi un
François-Xavier en robe de nuit, crispé, aux yeux fermement clos.
— Regarde-moé, gronda-t-elle, j’sais que tu dors même pas pour de vrai, envoye,
regarde-moé…
Oh que le ton était de mauvais augure, pensa François-Xavier en ouvrant les
yeux. À contre-jour, la silhouette de Rose-Élise se dessinait en une longue
forme inquiétante et presque démoniaque.
— C’est toé qui as cassé mon beau miroir à main ?
Elle parlait tout bas, détachant chaque syllabe. Elle était trop calme…
François-Xavier n’osait répondre. Ça sentait le piège à plein nez ! Il n’avait
jamais entendu parler de ce miroir avant, il n’en connaissait même pas
l’existence !
— Tu peux ben t’taire, j’le sais que c’est toé, affirma-t-elle en se penchant
sur lui.
François-Xavier était figé d’effroi. Le souffle qu’il recevait en plein visage
empestait la méchanceté pure. Une drôle de senteur, un peu comme celle qui se
dégage de cendres refroidies. Il ne sut pas comment il fit pour réussir à faire
bouger sa tête de gauche à droite afin de démentir l’accusation.
— Menteur ! hurla-t-elle subitement. J’le sais que c’est toé !
Elle l’agrippa aux épaules, lui enfonçant les ongles dans la chair.
— Tu vas me montrer où tu l’as caché, pis vite à part de ça !
— J’le sais pas, gémit François-Xavier, j’ai rien fait ! se défendit-il.
— Ben non voyons donc, y a jamais rien fait, lui d’abord, dit-elle
sarcastique.
Elle le gifla à toute volée.
— Tu me prends pour une folle ou quoi ? Tu penses que j’te vois pas aller !
Maudit hypocrite ! siffla-t-elle. J’va te faire cracher le morceau, moé, tu vas
voir !
Elle le secouait sauvagement, maintenant.
— Maudit enfant à marde ! Chus assez écœurée de toé ! Tu penses
que j’me rends pas compte de rien ? Envoye, donne-moé mon miroir !
Enragée, elle le jeta violemment en bas du lit. Le pauvre petit garçon pleurait
en même temps qu’il continuait à nier le vol. Rose-Élise l’empoigna par le
poignet et le remit debout. D’une main, elle lui tordit le bras derrière le dos,
de l’autre, elle lui tira les cheveux par en arrière.
— T’as l’air fin, là… Tu ris pus pantoute astheure !
Abandonnant sa prise, elle le frappa violemment à la figure, une claque si
forte que l’enfant se mit à saigner du nez. La pensée de François-Xavier perdait
prise. Il avait essayé de tenir sa promesse, il avait essayé d’être un bon fils,
de mériter sa nouvelle famille. C’est vrai qu’il était allé jouer souvent sur le
bord du lac, malgré l’interdiction, et qu’une fois il avait bourré ses poches de
bébés chenilles ; il devait en avoir une centaine, qui débordaient de leur
nouveau nid, faisant des acrobaties le long de ses manches et de son pantalon.
Rose-Élise avait hurlé de dégoût. « Pardon, pardon, je le ferai pus jamais.
Pardon, pardon ! » L’avait-il dit, l’avait-elle entendu ? Il ne le savait pas.
Les coups pleuvaient sur sa tête, tout tournait autour de lui.
— Papa, venez m’aider, papa Rousseau… supplia-t-il.
— Papa Rousseau, ah ben… répéta Rose-Élise. On sait ben, chus pas assez bonne
pour toé ? Tu trouves que chus pas une bonne mère ! Ça fait assez longtemps que
tu m’traites comme du poisson pourri, tu vas t’excuser !
De force, elle l’agenouilla par terre.
— Envoye, fais-moé des excuses !
Elle le poussa à plat ventre et lui tordit un bras derrière le dos. On entendit
distinctement le bruit de l’os qui se déboîta. Elle le retourna face à elle,
s’assit à califourchon sur lui et se mit à le rouer de coups,dans les côtes, au visage, partout où ses poings rageurs trouvaient une
cible.
— Rose-Élise ? T’es en haut ? appela Ernest en entrant dans la maison.
Inquiet des bruits sourds provenant de l’étage, Ernest, de retour après avoir
été vérifier une génisse qui n’avait pas mangé de la journée, déposa brusquement
sa lanterne sur la table de la cuisine et, sans prendre la peine de l’éteindre
ni d’enlever ses bottes boueuses ni son manteau, il grimpa les marches quatre à
quatre.
— Rose-Élise ! s’écria-t-il en s’immobilisant au pas de la porte de la chambre,
sidéré devant l’horreur qu’il découvrait.
La femme se
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