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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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heurtait au mur du mal dans son crâne,
     la vie devenait un enfer. L’enfer, qu’elle méritait sûrement. Oui, c’était cela,
     Satan plongeait sa fourche dans sa tête pour lui donner un avant-goût de ce qui
     l’attendait… Elle avait été méchante, elle n’aurait pas droit au paradis parce
     qu’elle avait été une mauvaise mère… Elle avait laissé mourir ses enfants, elle
     n’avait pu les sauver…
    Rose-Élise ferma les yeux, assommée par la douleur. Ernest noua mollement la
     bride de son cheval autour d’une branche et le laissa brouter ce qu’il pouvait
     dénicher de comestible. Puis, il entreprit de se préparer une bonne pipée,
     tandis que François, lui, profitait de l’arrêt pour pousser plus loin son
     exploration. Il choisit d’escalader le petit rocher qui s’élevait au bord du
     sentier. Gravissant la roche à quatre pattes, concentré sur sa périlleuse
     escalade, haletant, ne voulant pas perdre pied, il ne releva la tête qu’au
     moment de se redresser. Il lança les bras au ciel en signe de victoire et voulut
     crier son héroïsme, mais ce qu’il vit lui coupa le souffle. Sous ses yeux
     s’étendait ce qui serait désormais son royaume. De ce point de vue, il pouvait à
     nouveau admirer le lac qui s’était caché depuis qu’ils s’étaient enfoncés dans
     la forêt. Il était séparé de l’étendue d’eau par une forte pente sablonneuse
     recouverte de hautes herbes folles qui se raréfiaient au fur et à mesurede la descente pour faire place en bas à une magnifique et large
     plage où les vagues s’amusaient à broder une jolie dentelle dorée. François
     était conquis. Sa nouvelle patrie était si belle, couchée ainsi, son corps aux
     longues courbes épousant la forme de celui, presque gigantesque, du lac qui
     l’entourait affectueusement de son long bras. Il n’avait peut-être que quatre
     ans, pourtant son cœur d’orphelin sentit qu’il avait enfin trouvé son port
     d’attache. Comme c’était grâce à sa famille adoptive qu’il l’avait découvert,
     François se promit d’essayer, tel qu’il l’avait juré à sa Fifine, d’être un bon
     fils pour les Rousseau, pour qu’ils n’aient pas matière à se plaindre de lui. À
     choisir entre l’orphelinat et l’agrément de cette nature, il n’y avait pas à
     hésiter, même si cela voulait dire ne plus jamais revoir Joséphine. C’était le
     prix à payer.
    — C’est beau, hein mon gars ?
    Ernest avait rejoint François sur le sommet du rocher. Il se tint à ses côtés
     et silencieusement alluma sa pipe.
    Il en pompa plusieurs coups avant d’ajouter :
    — Notre maison est par là, à gauche. Regarde, tu peux voir une partie du toit à
     travers les arbres.
    — J’viens tout juste de finir de la bâtir, reprit-il après un long silence. Le
     boutte de terre que j’ai défrichée pour la culture s’étend en avant d’elle
     jusqu’à la terre des battures, la meilleure ! dit-il fièrement.
    — Vous avez-tu des vrais animaux sur votre ferme, monsieur ?
    — C’t’affaire, ben oui, voyons ! s’esclaffa Ernest. Une vache pour le lait pis
     le beurre, une couple de moutons pour la laine, des poules en masse pis deux
     cochons à engraisser. Moé, c’est une fromagerie que j’va avoir ! J’va en
     commencer la construction l’été prochain. Tu vas voir, c’t’une bonne terre
     pleine d’avenir, mon garçon… T’es pas ben vieux encore, mais tu vas pouvoir
     commencer à m’aider. J’va tout te montrer.
    À nouveau le silence. Ils ne s’étaient pas regardés. Ils se parlaientcôte à côte, face au paysage. L’un à faire sauter un petit
     caillou entre ses mains, l’autre exhalant de grosses volutes de fumée qui
     chassaient les moustiques.
    Ernest hésita avant de reprendre la parole.
    — Euh, tu pourrais p’t-être nous appeler papa pis maman, que c’est que t’en
     penses ?
    Mais au lieu de répondre, François demanda d’un ton sec :
    — Pourquoi qu’a m’appelle toujours Xavier ? C’est pas mon nom !
    Ernest tint sa pipe entre ses dents et se retourna vers l’enfant. Lentement, il
     s’assit sur la roche et invita son fils à l’imiter.
    Il aimait bien ce garçon. Il était spécial. On ne devait pas le traiter en
     bébé, mais jouer cartes sur table avec lui. Il reprit une bouffée de sa pipe et
     profita qu’il expirait une longue fumée bleuâtre pour bien choisir ses
     mots.
    — Tu vois, commença-t-il,

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