La colère du lac
larudesse de la femme. Et puis, il
n’était pas fou ! Il se tenait le plus loin d’elle possible. Ce n’était pas pour
rien qu’il était toujours sur les talons d’Ernest. D’instinct, le petit garçon
s’arrangeait pour ne pas se retrouver seul avec la femme, mais ce n’était pas
toujours possible…
Il était sept heures et demie environ et il venait de se mettre au lit.
Grelottant, il s’emmitouflait dans ses couvertures, essayant de se réchauffer
les pieds. On était rendu à la fin de novembre, mais la neige n’était pas encore
arrivée, au grand désappointement de François-Xavier. Peut-être se
réveillerait-il demain et que tout serait blanc ? Tout à coup, il entendit un
léger craquement. Automatiquement, il tendit l’oreille, arrêta de respirer, et
son cœur s’emballa. C’était toujours comme cela. Il s’endormait, non pas au son
d’une berceuse ou d’une histoire, mais à l’écoute du moindre bruit de la maison.
La peur le tenaillait et le réveillait en sursaut trois ou quatre fois par nuit.
Oh, il n’avait pas peur du noir ou des monstres sous son lit, comme les autres
enfants, non, il avait peur de Rose-Élise. Il n’avait pas la permission de
suivre son père aux derniers travaux de la journée. Ernest était inflexible sur
ce point et il est vrai que, levé depuis l’aube, travaillant plus fort que
n’importe quel gamin de son âge, il était fourbu à la nuit tombée. Mais si
Ernest avait su que Rose-Élise profitait de ces moments pour venir harceler
François-Xavier, il serait intervenu avant… Mais son fils ne lui avait jamais
confié ses craintes. François-Xavier ne voulait pas se plaindre. Il avait si
peur qu’ils ne le renvoient à l’orphelinat comme sa mère adoptive ne cessait de
le menacer. Alors, il se taisait et pendant qu’Ernest coupait un peu de bois ou
allait aux dernières corvées, François-Xavier subissait les fréquentes visites
de sa mère. Elle profitait de ces moments de solitude pour monter à sa chambre
et venir lui piquer une de ses crises. Des fois, elle l’appelait juste Xavier,
l’embrassait et le berçait dans ses bras, en lui chantant une chanson d’enfant.
Mais c’était rare qu’il s’en tirait à sibon compte…
Habituellement, elle lui crachait des bêtises au visage, le prenant par les
épaules et le secouant au point qu’il se frappait la tête sur le rebord du lit.
Quelquefois, elle cessait subitement de le rudoyer et se mettait à pleurer en se
tirant les cheveux et en se plaignant qu’elle avait mal à cause de lui parce
qu’il était mauvais. Elle lui faisait promettre d’être sage à l’avenir, ce qu’il
faisait, les larmes aux yeux, pour qu’elle parte enfin et le laisse en paix…
Dernièrement, il avait été relativement tranquille. Probablement à cause de
l’hiver et de la noirceur qui arrivait si tôt et du fait qu’Ernest, ayant
beaucoup moins d’ouvrage, restait souvent à l’intérieur le soir à fumer une
bonne pipe près du poêle à bois. François-Xavier s’endormait heureux, se
délectant de la rassurante odeur du tabac.
Le bruit se répéta. Cette fois, François-Xavier se rassit brusquement dans son
lit. Il oublia le froid, qui tantôt était insupportable, et se concentra sur le
soudain silence de la maison. Il n’entendait plus rien… Son père était-il
sorti ? Chut ! Encore ce craquement ! Oh non, on dirait les marches de
l’escalier… Oui, quelqu’un les montait une à une, lentement… Rose-Élise !
Terrifié, François-Xavier se cacha sous ses couvertures et retint sa
respiration, immobile, son ouïe décuplée suivant la progression de sa mère
adoptive. « Est sur le palier… Est rendue dans le corridor… A se tient dans le
cadre de la porte… J’entends sa respiration… Papa, j’ai peur… »
Rose-Élise, un chandelier à la main, s’avança silencieusement jusqu’au lit de
l’enfant et resta debout un long moment à étudier la forme allongée que la lueur
de sa bougie faisait trembloter. Son mari avait mis plus de soin à bâtir cette
couchette qu’à lui faire une table de chevet, comme elle le lui avait demandé.
Il n’avait pas le temps, rétorquait-il, pour un meuble dont on n’avait pas
vraiment besoin. On savait bien, il n’y avait rien de trop beau pour son adopté
de fils, par exemple… Rose-Élise alla déposer le chandelier sur la
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