La colère du lac
de ses propres mains, avec le bois coupé, les bâtiments pour les
animaux, puis une bonne maison pour installer sa femme qui attendait chez une de
ses sœurs qu’il soit prêt à aller la chercher. Il en avait abattu de la besogne,
ce n’était pas croyable ! Mais cela valait la peine. En plus, il arrivait avec
un fils. Quand Rose-Élise lui avait parlé de cette idée de fou la première fois,
il n’avait rien voulu entendre. Mais oui, il aurait besoin de bras, oui, une
descendance pour porter son nom… oui pourquoi pas… Cependant, il devait la
laisser choisir. Mais, il regrettait. On ne choisit pas un enfant à la couleur
de ses cheveux ! Il était évident que sa Rose-Élise manquait de patience et que
le petit avait du caractère. Malgré tout, le garçon avait quelque chose de
plaisant… Ah, baptême, ce qui était fait était fait. Ça ne donnait jamais rien
de revenir en arrière.
— Allons, en route tout le monde, on a encore une grosse journée devant
nous.
— Ce voyage est ben long ! se lamentait Rose-Élise.
Ils s’en allaient s’enterrer au bout du monde ! Elle n’aurait jamais dû suivre
son mari mais Ernest était inflexible. Elle n’avait pu que lui arracher la
concession d’aller chercher un petit gars… un nouveau petit Xavier… Elle avait
cru voir une ressemblance avec son fils décédé, mais parfois, celle-ci
s’estompait et laissait place à un étranger. Ah, qu’elle avait mal à la tête !
Et en plus, ils avaient dû prendre undeuxième bateau. Cela avait
aggravé sa migraine. Mais arriverait-on un jour ? L’après-midi tirait à sa fin
quand le deuxième bateau accosta enfin sur le bord de la Pointe. À la demande
d’Ernest à un bon voisin, son nouveau cheval gris les attendait, attelé à une
petite charrette qui fut vite remplie à pleine capacité par la malle de voyage
de Rose-Élise, les bagages à main et toutes les provisions que les Rousseau
avaient achetées au magasin général de Roberval avant de s’embarquer. Ils
avaient encore à parcourir une bonne distance sur un étroit chemin de terre
battue avant d’atteindre la ferme. Ernest offrit à François de l’installer entre
un gallon de mélasse et une poche de farine, mais celui-ci refusa
catégoriquement, car alors, il n’aurait pu faire rouler les roches du chemin
sous ses pieds, ni casser des bouts de branches pour s’en faire des épées
imaginaires, ni s’amuser à voler en rond comme ces gros oiseaux, là en haut dans
le ciel, des urubus comme son père adoptif venait de le renseigner, non, assis
dans la charrette, il n’aurait pas pu se sentir aussi libre, aussi vivant que
tout ce qu’il découvrait autour de lui. Surtout que Rose-Élise semblait avoir
oublié son existence et n’essayait plus de le ramener constamment à elle ! Son
père ouvrait la marche, guidant le cheval par la bride, tandis que Rose-Élise
fermait le cortège, le nez sur ses bottines à huit trous, bougonnant à chaque
pas. Entre les deux, François accumulait tous ces nouveaux trésors qui
s’offraient à lui.
À la moitié environ du parcours, Ernest décréta une halte pour que Rose-Élise
puisse se reposer. Elle marchait de plus en plus péniblement, ne prenant même
plus la peine de chasser les nuages de mouches noires et les mouches à chevreuil
qui les harcelaient. Elle avait chaud, sa longue robe noire pesait si lourd sur
ses hanches qu’elle avait l’impression de s’enfoncer dans la terre au lieu
d’avancer. Pâle, près de s’évanouir, elle se laissa tomber sur le sol et
s’adossa sur le tronc d’un maigre bouleau. Elle dénoua les rubans de son chapeau
devoyage, retira celui-ci et s’en servit mollement comme
éventail. Ce repos serait le bienvenu. De toute façon, elle était si souffrante
qu’un pas de plus et elle s’évanouirait. Ses migraines augmentaient en fréquence
et en intensité. Pourquoi devait-elle endurer cela, pourquoi ? Au début, ce
n’était qu’un malaise, un élancement qui se pointait derrière les oreilles,
enserrant la nuque, puis se dirigeant vaguement vers le front. Ensuite,
l’attaque se précisait et toute sa tête enflait, devenant dure comme de la
pierre, contenant une pression inimaginable. Alors, le plus minuscule mouvement
de son corps, le moindre bruit, la luminosité déclenchaient en elle une
souffrance intolérable. Chaque pensée se
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