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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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retourna brusquement.
    — Baptême, Rose-Élise, que c’est que t’as fait ? demanda Ernest d’un ton
     douloureux en réagissant enfin.
    Rapidement, celui-ci souleva la marâtre de sa proie et, sans ménagement, la
     repoussa de côté. Il prit son fils dans ses bras et sans un regard pour sa
     femme, il se mit à lui chuchoter des paroles apaisantes tout en essayant
     d’évaluer la gravité des blessures.
    — Chut… mon p’tit bonhomme, ton père est là, chut… Ça va aller maintenant, ton
     père est là…
    Il fouilla dans la poche de sa veste et en sortit son mouchoir avec lequel il
     se mit, avec précaution, à éponger le sang qui maculait le visage de son
     fils.
    En état de choc, François-Xavier hoquetait, ne cessant de répéter :
    — J’m’excuse, j’m’excuse, j’m’excuse…
    — Chut, ça va aller, j’te l’jure…
    Puis, ramenant son attention vers sa femme, prostrée dans le coin de la
     chambre, se frottant nerveusement les mains l’une contre l’autre, Ernest ordonna
     rageusement :
    — Toé, sors d’icitte tusuite !
    Rose-Élise ressemblait à un animal traqué et apeuré. Ses yeux
     étaient exorbités et son souffle rapide. Puis, son expression changea du tout au
     tout. Un demi-sourire détendit les traits de son visage.
    — Chicane-moé pas, c’est lui qui m’a volé mon miroir à main, mon beau
     miroir…
    Sa voix était devenue enfantine et prenait des inflexions chantantes.
    — J’va être sage, la plus sage de toutes les p’tites filles, sage comme une
     image !
    Elle se mit à rire, d’un petit rire aigu et faux.
    Ernest regarda son épouse, les mains paume contre paume, jointe en prière,
     pouffant de rire. Tout cela n’avait aucun sens. Il devait se rendre à
     l’évidence, sa Rose-Élise avait perdu l’esprit. Délicatement, il déposa son fils
     sur le matelas.
    — Chut, aie pas peur, j’va revenir tusuite, tu m’entends, j’va revenir
     tusuite.
    François-Xavier ne répondit rien. Ernest alla relever sa femme. Il la prit par
     le coude et l’entraîna en bas. Sans dire un mot, les lèvres serrées, se retenant
     pour ne pas la frapper à son tour, il la conduisit jusqu’à la chambre du
     rez-de-chaussée où il l’enferma en bloquant solidement la porte avec le dossier
     d’une chaise. Rose-Élise, qui s’était laissé docilement conduire, réalisa
     soudain qu’elle était prisonnière. Elle se mit à tambouriner sur la porte, tout
     en essayant en vain de l’ouvrir.
    Ernest attendit un instant, s’assurant de la solidité de son verrou improvisé.
     De l’autre côté de la porte, Rose-Élise pleurnichait :
    — C’est pas juste, pas juste, j’ai rien fait, j’veux pas être punie, c’est pas
     juste…
    De grosses larmes se mirent à couler sur les joues de l’homme. Il se retourna
     face au crucifix accroché au mur.
    — Vous m’éprouvez beaucoup, oui beaucoup… dit-il la gorge
     serrée.
    Il ferma les yeux un instant, puis, d’un pas lourd de chagrin, ignorant les
     supplications de sa femme, il retourna en haut prendre soin de son fils. Demain,
     il irait chez le curé de Péribonka, lui saurait quoi faire.

    Dieu merci, le bac était encore en service. Il n’y avait pas à dire, un hiver
     tardif avait du bon ! Grâce à l’inhabituelle clémence du climat, Ernest put
     traverser jusqu’à Péribonka, où le curé Lapointe le reçut promptement. Le curé
     ne connaissait pas vraiment cette nouvelle famille de colons, et fut bien
     intrigué lorsqu’ils débarquèrent dans son presbytère. Mais rien qu’à la vue de
     l’enfant blessé et du comportement bizarre de la femme, il comprit le but de la
     visite. Après avoir écouté les explications du monsieur Rousseau, tandis que sa
     ménagère prenait soin de l’épouse en la traitant comme la petite fille qu’elle
     semblait être redevenue, il s’empressa de quémander les services du docteur
     Picard. Le docteur examina l’enfant, nettoya ses blessures et replaça l’épaule
     blessée. Étonné du courage du jeune garçon qui souffrait en silence, il enroula
     le petit bras dans une écharpe et laissa François-Xavier rejoindre son père.
     Ensuite, le médecin resta un moment avec Rose-Élise et revint confirmer ce que
     le curé appréhendait : il s’agissait là d’un cas très grave de maladie mentale
     et, hélas, certainement incurable. On ne pouvait se permettre de mettre l’enfant
     en danger et Rose-Élise devait être

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