La colère du lac
de douleur que de découragement face à l’inutilité de sa
sœur. Haletante, elle souffla :
— T’es ben la seule femme du pays qui connaisse rien à la délivrance ! Va donc
te laver les mains à place, la rabroua-t-elle.
Léonie s’exécuta et se dirigea vers la cuisine. Elle releva les manches de sa
robe, remplit un bassin d’eau chaude et les plongeadans le
récipient. Heureusement, Anna emplissait en permanence une bouilloire sur le
poêle. Léonie se lava énergiquement les mains. Puis elle mouilla un linge, remit
de l’eau à bouillir et revint rapidement au chevet de sa sœur. Celle-ci, en
sueur, tenait les fameux montants de lit en forme de grappes de raisins à deux
mains et forçait pour expulser son enfant.
— Tiens Anna, chut, repose-toé un peu… dit Léonie en humectant le front de sa
sœur.
— Ben oui ! J’pense même que j’va dormir un peu ! se moqua rageusement
Anna.
Anna se redressa subitement et redoubla d’ardeur dans ses poussées, mais ce
bébé semblait coincé à la porte de sortie, ma foi du Bon Dieu !
— Pis là j’fais quoi ? s’informa Léonie d’une toute petite voix.
— Ah ! Léonie, va donc t’en faire toé du thé, s’impatienta la souffrante en
lançant un regard mauvais à sa sœur.
— Ça va, ça va, j’ai compris… dit Léonie en battant en retraite. Tu m’appelles
si t’as besoin de moé ? ajouta-t-elle.
— Aussi ben d’appeler Alphonse au chantier, ce serait aussi utile… maugréa
Anna.
— Pas d’ma faute si chus la dernière de la famille, moé… bougonna Léonie en
sortant de la chambre.
— Ouais ben, ça fait longtemps que j’avais pas bu du bon thé de même,
mademoiselle Joséphine. Depuis que ma Rose-Élise… Ernest s’interrompit et baissa
la tête.
— Euh… On m’a appris pour la maladie de votre femme. Pis justement j’avais
pensé vous offrir mes services.
— Quoi ? dit Ernest, interloqué. Mais, mais j’ai pas les moyens
d’avoir une femme à mon service, moé. Vous avez vu ma ferme, loin de ressembler
à celle de m’sieur Normand !
— Je l’sais ben. J’garderais mon emploi chez le Français. Chus logée, nourrie.
Mais j’viendrais en fin d’après-midi préparer le souper pis, mon jour de congé,
j’viendrais faire la grosse besogne.
— Même ça, j’pense pas que j’peux me le permettre. La maladie de mon épouse me
coûte pas mal cher pis…
— Mais pas question de m’payer ! assura Joséphine. Vous comprenez… j’me suis
attachée à François, monsieur Rousseau.
— Appelez-moé Ernest.
— Écoutez, c’est important pour moé… Vous avez besoin de moé, pis moé, j’ai
besoin de François.
— François-Xavier, rectifia sèchement Ernest.
Il y avait quelque chose qui le tourmentait dans cette histoire. Il avait
l’impression de trahir Rose-Élise. Pourtant, l’attachement de cette femme pour
son fils adoptif pouvait se comprendre. Elle avait dû prendre soin de lui dès
son plus jeune âge. Les créatures agissaient parfois si bizarrement mais… tout
ceci était si subit… Encore une fois ce fut François-Xavier qui décida de la
suite des événements.
— J’veux pus jamais que Fifine parte, pus jamais !
Et l’expression déterminée de ce petit visage en disait long sur les
conséquences d’un éventuel refus.
— Bon, ben, mademoiselle Joséphine, j’accepte votre aide, décida Ernest en
chassant ses craintes.
C’est à ce moment que Ti-Georges entra en trombe dans la cuisine, demandant
d’urgence de l’aide pour sa mère.
— Enfin les voilà ! s’écria Léonie en voyant l’attelage
d’Ernest arriver. Elle quitta son poste d’observation et s’élança au devant des
arrivants. Ernest n’eut même pas le temps d’immobiliser son cheval que déjà
Léonie s’accrochait à la carriole en lui disant, paniquée :
— Ah monsieur Rousseau, je suis si contente de vous voir ! Anna est en travail
pis j’sais pas quoi faire, j’vous surveillais de la cuisine, j’ai envoyé
Ti-Georges vous chercher pour… pour…
Ernest sauta prestement en bas de la carriole et tout naturellement, prit les
mains de Léonie dans les siennes et les retint longuement en disant :
— Calmez-vous, mademoiselle Coulombe.
Les beaux yeux verts de Léonie transmirent tout leur désarroi lorsqu’elle
répondit d’un ton découragé :
— Tout le monde m’dit
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