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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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paralyse, souille à tout jamais chaque cellule de son
     corps, chaque goutte de son sang… Vaincue, honteuse, Léonie était restée à
     genoux, la mâchoire endolorie, un mauvais goût dans la bouche, le menton gluant.
     Le vainqueur était resté debout, contemplant, savourant, jouissant de sa
     domination. Puis, las de ce jeu à la victoire trop facile, Alphonse s’était
     laissé choir sur le bord du lit avec un grand soupir et il avait entrepris de
     retirer mollement ses bottes qu’il avait encore aux pieds.
    — Pas de danger que ta sœur m’aurait fait ça, avait-il dit sans regarder
     Léonie, toujours prostrée devant lui. Ça prenait rien qu’une cochonne comme toé…
     Pis t’es mieux de pas aller te plaindre nulle part, t’en mangerais toute une !
     avait-il continué sans même élever la voix. De toute façon, tout le monde sait
     quel genre de fille que t’es ! On en parlait justement à soir, à notre veillée
     entre hommes. Le vieux Hubert haïrait pas ça lui aussi, mais lui, il payerait
     par exemple, moé c’est pas pareil, chus de la famille !
    Et il avait ricané, le rire s’amplifiant dans les oreilles de Léonie, comme si
     ses tympans étaient défoncés. Mue par un regain d’amour-propre, elle avait voulu
     se relever. Mais Alphonse l’avait rejetée par terre d’un coup de pied dans le
     ventre. D’un ton plein de mépris il lui avait lancé :
    — C’est ça, va-t’en, pis laisse-moé dormir, mais tu vas sortir
     d’icitte à quatre pattes, comme la chienne que t’es.
    Léonie s’était exécutée. Elle n’avait jamais appris à défier qui que ce soit.
     Elle avait ouvert maladroitement la porte, ayant cherché frénétiquement la
     poignée, puis se redressant, avait littéralement volé jusqu’à la chambre du haut
     qu’elle partageait avec ses nièces. La plus vieille s’était réveillée au son des
     sanglots de sa tante. Dans le noir Marie-Ange avait chuchoté :
    — Matante, c’est-y vous ? Ça va pas ?
    Léonie avait pris sur elle et menti.
    — Oui, ma belle, je… j’me suis cognée… contre… contre un meuble… pis j’saigne
     un peu, j’pense… rien de grave, j’va me laver un peu… rendors-toé, ma
     grande.
    — Dormez ben, matante !
    La fillette de dix ans se rendormit aussitôt. À tâtons, Léonie n’avait eu que
     le temps d’attraper le pot de chambre dans lequel elle avait vomi violemment.
     Ensuite, elle avait cherché le bassin rempli d’eau fraîche pour le lendemain,
     s’était aspergé le visage et rincé la bouche. Mais si ces saletés se
     nettoyaient, elle était convaincue qu’il en serait autrement de l’éternelle
     crasse qu’elle porterait désormais sur tout son corps, imprégnée, tatouée,
     indélébile. Toute sa vie, elle aurait mal au cœur.
    Le lendemain, Alphonse avait agi comme s’il ne s’était rien passé. Non, ce
     n’était pas vrai, il y avait quelque chose de changé. Maintenant, son beau-frère
     ne cachait plus la haine qu’il ressentait pour elle et avait commencé à lui
     lancer des petites phrases désagréables, même devant Anna, surtout devant Anna.
     Léonie était repartie le plus vite possible, n’en avait jamais parlé à sa sœur,
     et s’était toujours arrangée pour ne revenir qu’après s’être assurée qu’Alphonse
     était absent. À vrai dire, elle bénissait le ciel que les chantiers
     existent.
    Sa sœur la tira de sa rêverie.
    — Ouais Léonie, plus j’y pense pis plus chus convaincue que ce qu’y te faut
     pour te remettre sur le droit chemin, c’est un bon mari comme le mien. Bon, que
     c’est que j’ai dit de si terrible pour que tu te remettes à pleurer de même,
     Léonie, réponds-moé !
    — C’est rien Anna, juste la fatigue du voyage pis l’énervement de la tempête…
     J’va monter dormir, d’accord ? renifla-t-elle en se levant.
    — Ouais, tu te couches à l’heure des poules. J’t’ai installée en haut avec les
     filles comme d’habitude. À moins que tu préfères coucher avec moé, mais j’risque
     de t’écraser.
    — Pas de chance à prendre si j’veux pas me retrouver comme une crêpe demain
     matin, plaisanta Léonie sur un ton léger pour faire oublier ses larmes.
    — En parlant de crêpes, t’en as promis à Ti-Georges. Oublie pas, parce que lui
     y va s’en rappeler. Pis c’est pas moé qui va les faire certain. Passer des
     heures deboutte devant le poêle, non merci.
    — Profites-en donc,

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