La colère du lac
ça aujourd’hui.
— Ben, c’est que ça doit avoir du bon sens, plaisanta Ernest en relâchant
Léonie pour lui présenter Joséphine. Celle-ci les avait rejoints et attendait,
silencieuse, la suite des événements.
— Bonjour madame. J’m’appelle Joséphine Mailloux, pis chus venue aider,
dit-elle calmement.
Léonie cligna des yeux comme si elle venait seulement de s’apercevoir de la
présence de l’étrangère. Ernest la rassura :
— Mademoiselle Mailloux dit qu’a sait quoi faire, tout va ben aller, j’en suis
sûr. Emmenez-là auprès de votre soeur, moé, j’va rester dehors pis m’occuper des
deux garçons pis d’la ferme, comme de raison.
Léonie acquiesça et sans plus attendre, retourna vers la maison. Ernest suivit
des yeux les deux jeunes femmes entrer précipitamment dans la ferme des Gagné.
Ah, le mystère de la vie… Bientôt un nouveau petit être serait là. Un instant,
il songea à ses propres bébés qu’il avait à peine eu le temps de bercer… Avec un
frisson, il tourna le dosà ce monde de femme et entraîna
François-Xavier et Ti-Georges vers l’étable. Il y trouverait bien de quoi
s’occuper l’esprit.
Dans la cuisine, Joséphine se lava les mains avant de suivre Léonie jusqu’à la
chambre d’Anna.
Celle-ci gisait dans son lit et n’eut même pas la force de questionner
l’identité de la nouvelle venue. Elle se laissa examiner par Joséphine sans rien
dire. Elle était dans un tel état d’épuisement que plus rien ne comptait
vraiment à part le fait que cette souffrance devait finir. Péniblement, elle
essaya de fixer son attention sur ce que l’étrangère lui demandait.
— Y va falloir aider ce p’tit bébé à passer. Vous risquez d’avoir ben mal, mais
j’crois qu’on a pus le choix. On a-tu appelé un docteur ? questionna Joséphine
en jetant un coup d’œil à Léonie restée en retrait pendant son examen
médical.
— Y’en a pas su’a Pointe ! répondit celle-ci.
— Bon, on va se débrouiller, affirma Joséphine. Allez me chercher des
serviettes propres. Tusuite !
Léonie ne se fit pas prier pour quitter la pièce. Elle n’en pouvait plus de
voir sa sœur souffrir ainsi. C’était inhumain.
Soulagée d’être débarrassée de cette nuisance, Joséphine fit mentalement une
prière, puis avertit la mère qu’elle introduisait ses doigts dans l’ouverture
insuffisante pour la naissance.
— Voilà une p’tite madame ben courageuse… Oui, c’est ça, ça va aller, viens mon
p’tit bébé, viens on abandonne pas, madame, le bébé a le cordon autour du cou… y
est en train de s’étrangler… attention… poussez surtout pas…
— Ahh !!! Ça fait trop mal !!! hurla Anna.
— Vous en faites pas, j’ai souvent accouché mes sœurs, pis j’ai travaillé à
l’orphelinat de Chicoutimi pis de temps en temps j’aidais à l’hôpital…
Joséphine parlait en essayant de paraître le plus calme
possible mais en réalité, elle crevait de peur. Un bébé au cordon n’était jamais
un accouchement facile et l’enfant survivait rarement.
— Allons, madame, encore un effort, pis vous aurez le plus beau bébé du monde
dans vos bras… mentit Joséphine. J’le sais que j’vous fais ben mal… Attention,
j’va l’avoir, j’dois baisser le menton… passer le cordon… voilà… Bon,
maintenant, allez-y poussez ! Poussez !!!
— Le v’là, Anna, le v’là ! s’exclama Léonie revenue dans la pièce. J’vois ses
cheveux, des cheveux tout blonds…
— Oui, confirma Joséphine, encore une poussée, cette fois c’est la
dernière…
Joséphine tendit la main vers une des serviettes propres que tenait Léonie et
doucement, accueillit la petite chose toute flasque au creux de celle-ci.
Délicatement, elle déposa le précieux paquet sur le ventre d’Anna et pendant de
longues secondes observa le nouveau-né tout bleu se débattre mollement, la
bouche entrouverte sur un muet cri de désespoir. Ce bébé était presque mort-né…
Heureusement, Anna semblait plongée dans une bienheureuse inconscience. Hochant
la tête de gauche à droite, Joséphine fit signe à Léonie que c’était peine
perdue et, s’occupant du cordon, elle se prépara mentalement à se débarrasser
d’un petit cadavre avant qu’Anna ne s’en rende compte. Léonie, comprenant
l’horreur, mit un poing devant sa bouche afin d’étouffer
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