La colère du lac
chambre.
— Ti-Georges, enlève-toé de dans nos jambes, dit sèchement Léonie à son neveu
qui les suivait, inquiet. Va plutôt chercher monsieur Rousseau, tu sais comment
y aller ? Dépêche-toé, monsieur Rousseau saura quoi faire, lui.
Anna intervint calmement :
— Ti-Georges, fais ce que matante Léonie dit. Mais, sois prudent, passe pas par
le champ du taureau.
Ti-Georges détala sans prendre la peine d’enfiler le moindre manteau.
Anna soupira. Elle se serait bien passée de la nervosité de sa sœur, se
dit-elle tout en se déshabillant maladroitement.
— Léonie, calme-toé, j’t’en supplie. Passe-moé ma jaquette pis aide-moé à
m’étendre, vite, on n’a pas grand temps…
— Mon doux Seigneur, Anna j’sais pas quoi faire, dit la jeune femme
paniquée.
Anna éleva la voix.
— Calme-toé Léonie, tu m’entends, calme-toé tusuite ou sors d’icitte ! se
fâcha-t-elle.
— Mon beau François, calme-toé, c’est moé Fifine, oui… Laisse-moé te regarder…
Comme t’as grandi !
Ernest, mal à l’aise devant tant de démonstration, se racla la gorge.
Joséphine, gênée, se releva.
— Oh, monsieur Rousseau, pardonnez-moé, mais j’me suis tellement ennuyée de mon
p’tit François… On m’a toujours reproché à l’orphelinat d’être mère poule ! Vous
vous souvenez de moé ? On s’estvus là-bas quand vous pis votre
femme vous êtes venus chercher François.
— Oui, j’vous replace, confirma Ernest de plus en plus étonné par cette
histoire.
Joséphine sortit un mouchoir de sa poche et, après s’être mouchée, commença à
le triturer nerveusement entre ses mains. Elle avait tout planifié pour trouver
le moyen d’aller rejoindre son fils. Des mois pour mettre à exécution son
projet. Il lui fallait convaincre le curé de lui trouver un emploi à la
Pointe-Taillon puis quitter Chicoutimi. Elle avait imaginé le déroulement de ses
retrouvailles, répété ce qu’elle dirait au couple Rousseau. La vie s’acharnait
peut-être à la séparer de son fils, mais celle-ci avait sous-estimé son propre
acharnement.
— Ben oui, expliqua la jeune femme, imaginez-vous donc que la ferme du
Français, vous savez, la grosse ferme de monsieur Normand là…
— Oui, j’connais, coupa Ernest.
— Il vient des vieux pays y paraît, continua Joséphine.
— Oui, j’sais.
— Un monsieur ben riche pis une ferme ben grande… enchaîna la visiteuse.
— Ouais, j’l’ai déjà vue, dit Ernest.
— C’est son intendant qui m’a engagée. Oui ben, imaginez-vous donc qu’y
cherchait une femme pour tenir maison pis ben… imaginez-vous donc… que… eh
ben…
— Comme ça vous travaillez chez monsieur Normand, résuma Ernest. Vous êtes
venue à pied ?
— Y fait si beau à matin ! dit Joséphine. C’est mon jour de congé, ça fait que
j’me suis permis de venir vous voir. J’espère que ça vous fâche pas trop que
j’arrive comme un cheveu sur la soupe ? s’inquiéta-t-elle.
— Ouais, ben c’est toute une surprise ! répondit Ernest plus
sèchement qu’il n’aurait voulu.
— Une baptême de belle surprise ! s’exclama François-Xavier qui s’était tu
pendant l’échange du couple, surpris de l’inhabituelle froideur de son père et
de l’évidente nervosité de la nouvelle arrivée.
Ernest éclata de rire et se dit que son fils avait bien raison de le remettre à
sa place. Un instant il avait été jaloux de cette femme et avait été porté à la
renvoyer chez son employeur et à l’éloigner de François-Xavier. De toute
évidence, son petit garçon était heureux de ces retrouvailles, alors comment
avoir le cœur de lui refuser ce bonheur ?
— Ben fiston, où sont nos manières ? se reprit Ernest d’un ton cette fois
indubitablement plus aimable. Pis si on prenait soin de notre surprise pis qu’on
lui offrait une tasse de thé ? Mademoiselle… Fifine ? dit Ernest en haussant un
sourcil perplexe.
La jeune femme se détendit et rassurée, sourit à l’homme.
— Joséphine, pis c’est avec plaisir que j’accepte votre invitation mais à
condition que ça soit moé qui prépare le thé !
— Tu voudrais-tu que j’te fasse chauffer du thé ? offrit Léonie, impuissante au
pied du lit à regarder sa sœur souffrir.
— Léonie, tu m’énerves ! Pourquoi pas du gâteau tant qu’à y être !
Anna grimaça autant
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