La colère du lac
l’arrivée de son fils lui avait fait reprendre ses sens et il en
était resté là, se promettant que plus jamais chose pareille ne se reproduirait,
mais il n’avait pas tenu parole. Cela avait été leur premier baiser mais pas
leur dernier. Joséphine était arrivée à la Pointe depuis une année et faisait
partie intégrante de leurs vies maintenant. Elle était si généreuse. Elle ne
pensait qu’à leur faire plaisir, à lui et son fils. Elle les gâtait
terriblement. Elle leur cuisinait des repas savoureux qu’elle leur servait
joyeusement. Elle préparait leurs desserts préférés, lui offrait des tasses de
thé, s’occupait de tout le ménage, bref une perle rare. Joséphine débarquait
vers l’heure du souper à la maison et ne repartait que vers les dix heures du
soir. Elle couchait le petit après lui avoir raconté une histoire puis terminait
de mettre la maison propre. Parfois elle reprisait une paire de bas à Ernest,
parfois elle tricotait un foulard de laine à François-Xavier. Elle surveillait
les moindres désirs d’Ernest. Elle lui apportait son journal, sa pipe, son
crachoir. Chère Joséphine… Cette fois-là dans l’étable,elle
était venue ramasser les œufs pendant qu’il réparait un harnais. Stupidement, il
s’était légèrement coupé un doigt avec le poinçon. Ayant entendu sa plainte,
Joséphine avait abandonné sa tâche et s’était précipitée pour évaluer la gravité
de la blessure. Lorsqu’elle s’était penchée sur lui, Ernest avait ressenti
cruellement son abstinence de la dernière année. Joséphine avait perçu l’envie
de l’homme et offert ses lèvres à Ernest. En s’apercevant de la présence de son
fils, il avait mis fin au baiser. Plus tard, dans la soirée, le petit
François-Xavier profondément endormi, Joséphine s’était approchée de lui et lui
avait tendu la main, l’invitant à la suivre jusqu’à la chambre d’Ernest. Sans un
mot, celui-ci n’avait pas résisté. Joséphine avait fermé la porte, poussé la
commode devant pour la bloquer et regardé Ernest en souriant. Il se souvenait
qu’il avait trouvé la force d’essayer de refuser les avances de Joséphine.
— Chus un homme marié, Joséphine…
— J’sais ben.
— Pis j’pourrai pas vous offrir grand-chose.
— J’demande rien.
— Même pas l’amour, Joséphine.
— J’sais que vous m’aimez pas d’amour, Ernest. Mais vous m’haïssez pas quand
même ?
— Ben non voyons ! Vous êtes ben gentille pis ben dévouée, Joséphine.
— Bon ben y a pas de problème d’abord, avait-elle décrété en s’approchant
d’Ernest pour reprendre leur baiser interrompu un peu auparavant.
Ernest avait eu encore la force de s’inquiéter des conséquences de cette
invitation.
— Pis si… enfin… si un bébé…
— Mais non, pas de danger. Ma grand-mère était Indienne. Chusallée dans sa tribu pis on m’a appris ben des recettes indiennes, du
chasse-bébittes au chasse-bébé.
Ernest n’avait plus eu aucune objection. De toute façon, il n’aurait pu
refréner plus longtemps le besoin qu’il avait d’enfoncer son membre à
l’intérieur d’un corps chaud de femme. L’absence de sa Rose-Élise dans le lit
conjugal avait été comblée. Et Joséphine était si accueillante. Elle l’avait
accueilli ainsi, régulièrement, pendant douze années, sans jamais rien demander
en retour.
— Après vous avoir vus vous embrasser dans l’étable, dit François-Xavier, j’ai
tellement rêvé que vous alliez vous marier.
— J’pouvais pas.
— J’sais ben, oui. Au moins, j’aurai eu la chance quand même d’avoir Joséphine
sur mon chemin. A l’a été si bonne pour moé, dévouée… Maudite grippe espagnole…
se rappela douloureusement François-Xavier.
— Oui, Dieu est venu en chercher un grand nombre cette année-là… Prions le ciel
que la terre connaisse pus jamais une épidémie comme celle de 1918.
— Prions le ciel que l’homme fasse pus jamais la guerre ! surenchérit
François-Xavier.
Puis il ajouta, mélancolique :
— J’aimerais aller me recueillir su’a tombe de Joséphine demain après la messe.
A me manque tellement… Viendrez-vous avec moé, son père ?
— Oui, ben sûr, je l’aimais aussi beaucoup Joséphine, beaucoup…
— Entre, Julianna, viens faire connaissance avec ton père, l’invita Léonie en
lui
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