La complainte de l'ange noir

avec toutes ces morts mystérieuses ?
    Il glissa le sachet de cuir dans sa ceinture et serra avec chaleur la main de Gurney.
    — Pourquoi vous condamnerais-je, Sir Simon ? Le roi refuserait de croire à cette histoire. Quant à votre médecin, il a commis une erreur stupide, avec les meilleures intentions du monde, c’est tout.
    Il leva la main.
    — Mais ces documents m’appartiennent, à présent. Monck ne doit pas le savoir.
    Gurney et Selditch exprimèrent leur gratitude avec une telle effusion que Corbett en fut presque gêné. Une fois juré que personne, à part Ranulf, Lady Alice et Maltote, ne serait mis au courant, Corbett ressortit du souterrain avec grand soulagement et regagna le calme de sa chambre. Il était mort de fatigue après cette expédition et la confrontation assez tendue qui avait eu lieu dans la salle souterraine. Il jeta un regard à ses serviteurs qui ronflaient comme des sonneurs et s’installa confortablement pour parcourir le manuscrit que lui avait confié Gurney.
    Ce ne fut pas toujours tâche aisée. Le temps avait jauni le parchemin et l’auteur, le fils de Sir Richard, avait transcrit la confession de son père en des gribouillis presque illisibles.
    Corbett lut la première phrase : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, moi, Sir Richard Gurney du manoir de Mortlake, jure que cette confession secrète est la vérité. J’en appelle au Christ, à sa Sainte Mère et à tous les saints : qu’ils soient mes témoins ! » La confession narrait ensuite la traversée du Wash, la trahison de Holcombe, la honte de Sir Richard, ses recherches discrètes pour retrouver le félon et la capture de ce dernier, ainsi que sa mise à la torture et sa mort lente par pendaison. La plupart des détails étaient familiers à Corbett, mais une précision attira son attention vers la fin : le complice de Holcombe, Alan of the Marsh, se serait caché dans les environs de Hunstanton.
    Corbett relut le manuscrit, l’enroula et le dissimula dans ses fontes. Puis il fît les cent pas dans la pièce en analysant les différents points mystérieux. Qu’était-il advenu de cet Alan of the Marsh ? Où gisait le trésor ? Sir Simon disait-il la vérité ? Le bailli Robert et Maître Joseph savaient-ils quelque chose ? Le clerc prit une profonde inspiration puis s’étendit sur son lit. Il se demandait quel rôle jouait Monck dans cette partie.

 
    CHAPITRE VIII
    Corbett se redressa sur sa couche et regarda Maltote et Ranulf qui dormaient du sommeil du juste. Avaient-ils découvert quelque chose en son absence ? Il avait envie de les éveiller d’une bonne bourrade, mais cela aurait été mesquin de sa part. Il sauta à bas du lit, s’installa à sa table et repensa à sa récente entrevue avec le roi. Que se serait-il passé s’il avait donné sa démission et si Édouard l’avait acceptée ? Que serait-il advenu de Ranulf ? Allaient-ils s’établir tous dans un manoir et s’occuper de leurs terres ? Ranulf avait obtenu ce dont il rêvait : le rang de clerc. Corbett se demanda s’il ne devrait pas lui confier plus de tâches, comme le lui avait conseillé Maeve.
    — Mais cela peut attendre, murmura-t-il.
    Il posa quelques secondes la tête sur ses bras et sombra à nouveau dans le sommeil. Il rêva de Leighton et des verts pâturages qui s’étendaient du manoir à la rivière Lea. D’autres images s’embrouillèrent dans son rêve. Il s’entendit héler. Il ouvrit les yeux : le visage fendu par un large sourire, Ranulf se tenait près de lui.
    — Vous êtes revenu tard hier soir, Messire ?
    Corbett étira ses membres douloureux en gémissant.
    Il jeta un coup d’oeil par la fenêtre.
    — Seigneur Dieu, c’est déjà grand matin, murmura-t-il.
    — Oui, confirma Ranulf. Maltote et moi sommes déjà allés à la messe.
    Il se rengorgea, image même de la vertu.
    — Nous avons bien pensé à vous mettre au lit, mais vous aviez l’air si confortablement installé ! Nous vous aurions attendu hier soir, mais j’apprenais à Maltote un nouveau tour de dés. Et nous avions du vin. Deux filles de cuisine sont venues nous rejoindre.
    Ranulf haussa les épaules.
    — Vous savez comment ça se passe, Messire !
    — Oh, oui, par la male mort ! rétorqua Corbett en se levant péniblement.
    Derrière son dos, Ranulf adressa un signe de connivence à Maltote, assis au bord du lit. Corbett se dévêtit et fit ses ablutions pendant que Ranulf lui préparait un