La complainte de l'ange noir
d’usuriers. Je suis né pauvre. Mes parents ne pouvaient guère me payer des études et je fréquentais donc ces sordides échoppes.
— Vous n’êtes pas obligé d’agir ainsi, répéta calmement Gurney.
— Si, il le faut, Sir Simon. Je suis désolé, mais il le faut à tout prix.
Selditch prit une profonde inspiration.
— Sir Hugh, je fais partie de la maison de Sir Simon, qui s’est avéré un maître généreux. Lorsque nous avons quitté le service du roi, son foyer devint le mien.
Le mire se tut un instant pour contempler la grand-salle somptueuse.
— Ce manoir me fascina et je l’explorai de fond en comble. Je lus toutes les archives jusqu’à ce qu’un jour je débusque le grand secret de Mortlake.
Selditch consulta Gurney du regard :
— La meilleure solution, c’est qu’il voie par lui-même !
Gurney s’empressa de donner son accord et pria son épouse de rester dans la grand-salle. Puis Selditch et lui guidèrent un Corbett muet de stupéfaction dans les passages souterrains. Ils allumèrent des torches et longèrent, jusqu’au cachot de Gilbert, le couloir où les sons résonnaient comme dans une caverne. Corbett jeta un coup d’oeil par le judas, mais le jeune homme dormait comme un loir sur une paillasse apparemment confortable. Au bout du couloir, le médecin repoussa une grosse barrique de bière, découvrant ainsi une porte étroite. Il prit une clef à sa ceinture et ouvrit l’huis. Ils pénétrèrent dans un tunnel interminable. Il y faisait plus froid. Corbett était persuadé d’entendre le grondement de la mer. Précédé du médecin et suivi de Gurney, Corbett se rendit compte de sa vulnérabilité. Si seulement Ranulf l’accompagnait ! Il porta la main à son poignard. Le sol devint glissant et il regretta d’avoir enlevé ses bottes pour chausser des houseaux en cuir souple. Son coeur se mit à battre à tout rompre et son front se couvrit de sueur : le couloir se rétrécissait tant qu’il avait l’impression que les parois allaient se refermer sur lui. Il respirait profondément en fixant la torche crépitante que tenait Selditch et priait en silence pour que cette expédition s’achevât au plus vite. Soudain le tunnel fit un coude et s’élargit pour déboucher dans une salle souterraine. Corbett souffla. Selditch alluma les torches fixées aux parois et la caverne s’illumina. Puis il déplaça un tas de pierres et de rochers au fond. Gurney lui prêta main-forte et, devant Corbett fasciné, ils dégagèrent un long cercueil de pin. Gurney en défit les fermetures et le poussa vers le magistrat. Celui-ci regarda le squelette jaunâtre qui gisait dans la bière et leva les yeux, ébahi.
— Qui est-ce ? Qu’est-ce que tout cela signifie ?
Il remarqua un sachet de cuir au pied du mort et se baissa pour le prendre, mais Gurney le devança : il s’empara du sachet et le serra contre sa poitrine.
— Qui est-ce ? répéta Corbett.
Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque. Ses doigts se refermèrent sur son arme.
— Oh, Hugh, Hugh ! murmura Gurney. Nous ne sommes pas vos ennemis. Nous redoutons seulement vos réactions.
Il désigna le squelette :
— C’est John Holcombe, né à Bishop’s Lynn. C’est lui que mon arrière-grand-père, Sir Richard Gurney, engagea pour faire traverser le Wash au convoi du roi Jean.
Gurney donna un petit coup de pied au cercueil pourri du bout de sa botte.
— Et c’est lui qui, au contraire, l’amena à sa perte – ou du moins une partie, à savoir le train d’équipage. Avant le départ de Wisbech, apparemment, Holcombe avait vu le trésor qu’on chargeait sur des mules et des chevaux de bât. Dans la noirceur de son âme, il conçut un plan diabolique. Le convoi royal se composait de trois groupes : d’abord le roi et sa cour, puis le train d’équipage et enfin une arrière-garde de piétons. Holcombe devait marcher en tête, mais ce jour-là il resta en arrière. Il prétexta aussi l’épais brouillard, pour retarder délibérément la traversée.
— Vous connaissez la suite, intervint Selditch. La marée se mit à monter. L’escorte du trésor fut frappée de panique. Holcombe revint sur ses pas. Il se saisit d’un certain nombre de mules et, par des sentes connues de lui seul, il s’échappa avec une partie du butin, en abandonnant le reste aux flots et l’escorte à la mort.
Gurney poursuivit le récit :
— Lorsque mon aïeul arriva à Swynesford, il réfléchit à
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