La complainte de l'ange noir

ce qui s’était passé. Il n’était pas sot et décida de quitter la Cour pendant les derniers jours du règne du roi Jean et de pourchasser Holcombe. C’est une longue histoire !
    Gurney tritura le sachet de cuir.
    — Tout est consigné là-dedans.
    Corbett tendit la main et Gurney le lui remit.
    — Pour vous seul, Hugh. Je ne veux pas que ce coquin de Monck s’empare de ces documents !
    Corbett opina du chef.
    — Nous verrons, chuchota-t-il.
    Il montra le cercueil.
    — Comment Holcombe a-t-il échoué ici ?
    — En deux mots, mon aïeul l’a capturé et fait pendre au gibet, celui que vous avez vu sur la falaise de Hunstanton. Une fois la chair décomposée, il fit placer le squelette dans un cercueil spécial, qui fut enterré ici.
    — Mais il n’en a parlé à personne ? demanda Corbett.
    — Non, par trop grande honte. Après tout, c’était lui qui avait loué les services de Holcombe ! Et puis il ne se connaissait pas que des amis : les méchantes langues l’auraient vite accusé de complicité avec Holcombe.
    — Et le trésor ?
    — Voilà bien le mystère. Sir Richard, voyez-vous, ne faisait guère de sentiments : avant d’envoyer Holcombe à la potence, il lui fit subir la question dans le cachot que vous venez de voir. Holcombe refusa de révéler la cachette, mais avoua avoir un complice, un second guide du nom d’Alan of the Marsh, l’intendant du manoir. Alan savait où était dissimulé le trésor. Mais d’après la confession de mon aïeul, dictée à son fils, on ne retrouva jamais cet Alan, pas plus que le trésor.
    Corbett se tourna vers Selditch.
    — Mais vous avez bien vendu trois plats à Londres ?
    — Ah !
    Gurney s’accroupit pour refermer le cercueil et leva les yeux vers le clerc.
    — Le désastre du Wash se produisit en octobre 1216, mais ce n’est que l’année suivante, en février, que mon aïeul arrêta Holcombe sur la lande. Celui-ci était en possession d’une sacoche de cuir contenant ces trois plats. Dans sa confession, mon arrière-grand-père disait avoir la conviction qu’Holcombe se dirigeait vers un port pour s’embarquer pour Londres ou même pour l’étranger afin d’y vendre ces objets en or.
    Gurney se leva.
    — Holcombe n’avait qu’une infime partie du trésor lors de son arrestation. Que pouvait décider mon aïeul ? S’il le rendait à la justice royale, Holcombe risquait, par pure vilenie, d’insinuer qu’il était son complice dans cet effroyable forfait. Et que faire des plats ? Les envoyer à l’Échiquier à Londres et prétendre les avoir trouvés par hasard ? Non ! Il les enterra dans le tombeau secret de Holcombe, dans cette caverne creusée par la nature. Et Holcombe, la tombe, le trésor... tout disparut. Sir Richard dicta sa confession, mais sans révéler à son héritier où étaient enterrés Holcombe et les plats.
    Après que Gurney eut fini son récit, Corbett s’adressa à Selditch :
    — Et votre rôle, là-dedans ?
    Le mire poussa un long soupir.
    — Comme je vous l’ai dit, je m’intéressais à l’histoire de Mortlake et à ses légendes mystérieuses. Je rouvris les tunnels, découvris cette caverne et m’aperçus que les pierres, au fond, avaient été déplacées. Je mis la main sur le cercueil de Holcombe et y trouvai la confession de Sir Richard et les plats d’or. Je le racontai à Sir Simon. Il m’ordonna de remettre les plats là où je les avais pris. Je lui obéis, car je voulais protéger son honneur. Mais bientôt le commerce périclita à cause des guerres. Sir Simon devint la proie des usuriers. Je me souvins alors des plats. Je les sortis de leur cachette, me rendis à Londres sous un prétexte quelconque et réunis assez de fonds pour payer les créanciers.
    Selditch eut un geste d’excuse :
    — J’eus tort, bien sûr. J’avouai tout à Sir Simon à mon retour.
    Le médecin ébaucha un sourire.
    — Il monta sur ses grands chevaux, mais que faire ? Les plats avaient été vendus, les dettes remboursées.
    Le mire haussa les épaules.
    — Et j’avais réglé une dette personnelle contractée, il y a bien longtemps, envers lui.
    Corbett l’observa avec attention.
    — Que décidez-vous, Hugh ? demanda Gurney.
    Corbett grimaça.
    — À quoi bon retourner voir le roi ? dit-il posément. Après tout, il est en possession de ces trois plats. Ce qui m’intrigue, c’est l’identité de celui qui recherche également ce trésor. A-t-il un rapport