La complainte de l'ange noir
honteux trafic !
Le clerc se leva pour aller admirer de plus près un des tableaux.
— Une nuit, le sort frappa !
Il se retourna, conciliant :
— Oh, j’en conviens, il n’y eut aucun geste criminel, mais soeur Agnes n’était plus toute jeune. Un morceau de la falaise s’est-il écroulé, une rafale a-t-elle été plus forte que les autres ? Je ne sais pas. En tout cas, la brave soeur a trébuché et s’est écrasée sur les rochers en contrebas.
Corbett regarda par-dessus son épaule et ne put retenir un sourire :
— Votre cellérière sera remplacée tôt ou tard et vos activités illicites reprendront de plus belle dès que certain enquêteur royal sera reparti, n’est-ce pas ?
— Vous n’avez aucune preuve ! protesta-t-elle avec force.
— Oh, que si ! mentit Corbett. J’ai interrogé l’un des capitaines de navire. Il a tout avoué.
Il revint au centre de la pièce en caressant le pommeau de son épée.
— Peut-être devrais-je également questionner plusieurs de vos serviteurs, surtout ceux que l’on paie grassement pour manoeuvrer la petite embarcation ?
Mère Cecily n’en supporta pas davantage. Elle baissa la tête et éclata en sanglots.
— Ma mère, dit doucement Corbett.
Elle leva son visage baigné de larmes.
— Nous le faisons depuis toujours, murmura-t-elle. Et pouvez-vous nous jeter la pierre, Sir Hugh ? Les impôts sont si lourds et les bénéfices si réduits !
Corbett avisa le luxe qui l’entourait.
— En économisant, peut-être ?... ironisa-t-il à mi-voix.
Elle se ressaisit.
— Quelles sont vos intentions, Sir Hugh ? Informer notre souverain ?
— Pas forcément, si vous vous pliez à deux conditions.
Il lut l’espoir qui renaissait dans ses yeux noirs de belette.
— Lesquelles ?
— D’abord, il faut cesser ce trafic sur-le-champ, et ensuite me révéler tout ce que vous savez sur Alan of the Marsh.
Elle refondit en larmes, les épaules secouées par les sanglots au point que même Ranulf eut pitié d’elle.
CHAPITRE XII
— Ma mère, reprit Corbett, pourquoi tant de chagrin pour un homme disparu il y a si longtemps ?
La main crispée sur le trousseau de clefs pendant à sa ceinture, mère Cecily s’approcha d’un grand coffre renforcé de ferrures. Elle l’ouvrit pour en extraire un fin rouleau de parchemin jauni qu’elle tendit à Corbett.
— Lisez ceci, Sir Hugh ! Ce parchemin a été soustrait à la chronique de notre couvent que seule la prieure a l’autorisation de consulter.
Corbett alla à la fenêtre pour profiter de la lumière. Il comprit que la chronique se composait de parchemins cousus ensemble. Le fragment qu’il tenait avait été soigneusement subtilisé, de façon que les bouts des autres morceaux fussent recousus sans que l’on pût soupçonner qu’une partie manquât.
Mère Cecily se dirigea vers la porte.
— Je reviens dans un instant, dit-elle. J’ai quelque chose d’autre à vous montrer.
Corbett acquiesça d’un haussement d’épaules et se mit à lire, déchiffrant les lettres écrites à l’encre bleu-vert et traduisant rapidement les phrases latines.
— Alan of the Marsh y est-il mentionné ? demanda Ranulf.
— Non.
— Alors cela ne nous sert à rien.
— Au contraire ! Écoute ! C’est daté d’août 1217, presque une année après que le roi Jean eut perdu son trésor dans le Wash. Ce mois-là, un fugitif se réfugia au couvent. Il s’introduisit dans l’église et s’accrocha au maître-autel, en réclamant le droit d’asile. La prieure de l’époque le lui accorda. Le fugitif demanda à boire et à manger, et fit valoir son droit coutumier à rester là quarante jours. Mais écoute ceci, Ranulf ! C’est encore plus intéressant. Sir Ralph Gurney vint au couvent à la recherche d’un fugitif soupçonné d’avoir tué un prêtre du nom de James. La prieure lui affirma n’avoir jamais vu un tel individu.
Corbett laissa tomber le parchemin sur la table.
— Est-ce tout ? s’écria Ranulf.
— C’est suffisant. Mais mère Cecily nous en dira plus, j’en suis sûr.
— Qui était ce père James ?
— Dieu seul le sait, répondit Corbett d’un ton morose.
— Pourquoi consigner ce fait dans leur chronique, s’étonna Ranulf, et l’enlever ensuite ?
Son maître lui donna une tape sur l’épaule.
— Bonne question, Ranulf. Je suppose qu’un événement précis est survenu entre l’arrivée du fugitif réclamant
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