La confession impériale
Je n’allais pas m’en mêler, cela
va de soi, mais je souhaitais ardemment la victoire de mon ami Haroun, allié
d’Ibrahim. Quant à savoir quelles convictions religieuses ou idéologiques,
quelles querelles de clans ou de familles avaient généré ce conflit, j’avoue
mon ignorance. Alcuin, dont le savoir était rarement pris en défaut, n’était
plus là pour m’éclairer. L’essentiel est que cette tempête allait nous être
bénéfique.
Dans les semaines
qui suivirent le retour de Walla, j’appris par mes missi que la guerre
avait embrasé les rivages de la Méditerranée, des Colonnes d’Hercule à
Carthage, et que le monde musulman sombrait dans la confusion, d’autant que
Byzance était entrée dans la mêlée. Dans la crainte que cette tempête
n’atteignît ses côtes, le pape Léon avait fait renforcer ses défenses sur la
mer Tyrrhénienne. Les grandes îles virent s’abattre sur elles, comme des nuées
de sauterelles, des guerriers des deux clans qui ne rembarquaient qu’après
avoir tout picoré. Seul l’archipel des Baléares résista à l’invasion ;
j’avais pris soin de le mettre en défense.
L’année suivante, Ibrahim ben Aglab subit une
lourde défaite navale devant un ennemi inattendu et implacable, qui allait
mettre fin à cette guerre. Alors que sa flotte avait abordé sur les côtes de
Sicile et s’apprêtait à l’envahir, une tempête l’avait précipitée sur les
récifs et avait envoyé par le fond une centaine de navires, avec soldats,
équipages et chevaux.
Quelques semaines plus tard, Walla me rapporta
une autre nouvelle d’importance : le comte d’Ampurias, Irmingar, avait
capturé dans les parages de Minorque, une des îles Baléares, une nef omeyyade
ramenant à Cordoue une centaine de prisonniers corses, hommes et femmes. Les
Maures s’étaient vengés en pillant Nice et Civita Vecchia.
Ce conflit, qui n’était pas une vraie guerre,
n’avait fait qu’effleurer la Francie, mais, encore obsédé par les craintes
d’une invasion, par terre ou par mer, je fis renforcer les défenses de nos
côtes méridionales et confiai cette mission à Walla.
Cet officier de mon
palais et son frère Adalhard, ancien précepteur de mon fils Pépin, roi
d’Italie, étaient mes cousins. Au cours de ces derniers événements, ils étaient
devenus pour moi de précieux auxiliaires. Il ne se passait pas de semaine
qu’une de leurs estafettes ne me tînt au courant de la situation. Ils
excellaient dans leurs fonctions qui équivalaient à celles des missi. J’avais
décidé, le calme revenu en Méditerranée, de confier à Walla, l’aîné des deux
frères, d’autres missions dans la Saxe et la Frise ; il me supplia de le
garder au palais.
La cinquantaine venue, doué d’une sagesse qui
faisait de lui, disait-on, « un nouveau Joseph », il souhaitait
renoncer aux longues chevauchées et aux guerres incertaines. Il allait se
contenter, avec Adalhard, de suivre ces affaires de près, notamment pour
surveiller les comtes qui se comportaient souvent comme des satrapes dans les
territoires soumis.
C’est alors que j’envisageai de les associer à
mon pouvoir.
Parenthèse :
— Que
marmonnes-tu, mon bon Éginhard ?
— Je crains,
sire, une maladresse de votre part, qui pourrait être lourde de conséquences.
— Ce qui
signifie ?
— Dois-je vous
rappeler qu’en faisant d’eux des maires du palais, comme ceux dont
s’entouraient les rois de la race de Mérovée, vous courez le risque de les voir
prendre une importance exagérée ? Votre vénéré père, le roi Pépin,
n’a-t-il pas fait tonsurer et jeter dans un monastère le roi Childéric ?
Qui vous dit qu’ils ne nourriront pas la même ambition contre vous ?
— Tu as tort
de t’inquiéter. Walla et Adalhard me sont fidèles. Fais en sorte de ne pas
divulguer ces absurdes soupçons. Tu pourrais le regretter… Reprenons…
Ce n’est pas de
gaieté de cœur, je dois en convenir, que j’envisageais de partager mon pouvoir
avec mes deux cousins, cette mesure pouvant être jugée comme une faiblesse ou
une impuissance de ma part. Les soupçons d’Éginhard ne me paraissaient
nullement fondés, du moins dans les circonstances présentes, mais l’éventualité
d’une révolution de palais ne pouvait être exclue, mes fils étant loin de moi
et fort occupés. Je me promis, après les avoir installés dans leurs nouvelles
fonctions, de les avoir à l’œil.
Sans ces deux officiers, les
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