La confession impériale
cavaliers cordouans, entre Atlantique et Pyrénées, un
vaste espace où Louis avait installé une légion de moines et quelques
garnisons.
Pour autant, tout
n’était pas réglé.
L’Émirat avait fait de quelques ports, comme
Almeria ou Carthagène, des repaires de pirates qui se livraient à des attaques
contre les grandes îles de la Méditerranée. Outre la Corse, ils semaient la
désolation en Sardaigne et en Sicile, possessions relevant de Byzance. Je
redoutais qu’ils s’en prissent à l’archipel des Baléares que j’avais placé sous
ma protection, la foi chrétienne y étant fortement implantée.
J’aurais eu tort de
négliger les affaires d’Espagne, qui constituaient pour les population des
marches pyrénéennes un objet permanent d’insécurité. Derrière les conflits
larvés que les Maures menaient contre nos positions, je flairais le signe d’une
guerre d’invasion. Ils n’attendaient, semble-t-il, qu’un signe du Prophète ou
une occasion favorable pour faire appel à leurs coreligionnaires d’Afrique du
Nord et lancer ces hordes à l’assaut.
Je décidai de rester sur mes gardes.
3
Alors que je me trouvais à Mayence, j’eus la
surprise d’y recevoir une sorte de squelette vivant accompagné de quelques
moines, eux-mêmes maigres à faire peur et qui avaient du mal à tenir sur leurs
jambes.
Chassés de Jérusalem, où ils assuraient la
garde et l’entretien des lieux saints sous la protection de soldats francs et
italiens, par des musulmans fanatisés, ils avaient été recueillis, alors qu’ils
erraient affamés sur une grève déserte de la Palestine, par une nef portant les
couleurs de Byzance. Débarqués en Sicile dans un état de dénuement total, ils
avaient emprunté un nouveau navire qui les avait déposés sur la côte
méridionale.
À pied et chaussés de mauvaises sandales, ils
étaient parvenus, en passant d’un monastère à un couvent, à gagner Mayence où
ils savaient me trouver.
Ce qu’ils me dirent des événements de
Jérusalem et de leur odyssée avait de quoi susciter ma pitié et mon inquiétude.
Les Sarrasins, me dirent-ils, était fréquemment sujets à ces accès de fanatisme
qui leur faisaient prendre les armes. Ils s’étaient contentés de chasser les
moines, mais avaient massacré les soldats. On les voyait traverser par groupes
la ville sainte, récitant à haute voix des versets du Coran, et lançant des
flèches vers le ciel.
— Cette situation, me dit le
« squelette vivant », est devenue insupportable. Que fait donc le
calife Haroun ? Il se dit ami des chrétiens mais ne le montre guère. On ne
compte plus le nombre de pèlerins qui, dépouillés, tués ou amenés en esclavage
par des chefs de tribu, n’arrivent jamais sur le Saint-Sépulcre.
Ces questions, je me les posai moi-même à la
suite de cet entretien. Les démonstrations d’amitié, les cadeaux somptueux
d’Haroun n’auraient-ils d’autre but que d’endormir ma méfiance ? Peut-être
était-il mal informé des mauvais traitements infligés par ses coreligionnaires
aux chrétiens, ou alors était-il incapable, depuis ses palais de Bagdad,
d’imposer le respect des lieux saints auxquels il était autant attaché que
moi ?
Si j’avais écouté ces pauvres moines, je
n’aurais pas hésité à conduire, à travers les sables des déserts, une armée en
Palestine. Je me gardai bien de leur en faire la promesse et leur donnai congé
en leur offrant des robes neuves et mes montures pour aller trouver à Rome le
pape Léon.
Mes alarmes
redoublèrent lorsque j’appris qu’un chef maure, Ibrahim ben Aglab, après avoir
jugulé l’anarchie endémique qui sévissait parmi les tribus du désert, se
proposait d’embarquer ses guerriers pour l’Espagne. Dans quel but si ce n’était
pour tenter une invasion de la Gaule ?
J’envoyai mon cousin, le fidèle Walla, à
Toulouse recueillir quelques détails sur ces rumeurs. Les nouvelles qu’il m’en
rapporta étaient moins graves que je ne l’avais craint. Ibrahim n’était pas, me
dit-il, l’ennemi potentiel que j’avais redouté ; il se disait ami
d’Haroun, et donc le mien. S’il avait fondé la secte des Aglabites et rassemblé
une armée en Afrique, c’était pour attaquer ses ennemis religieux occupant le
califat de Cordoue.
La pensée qu’une guerre entre Abbassides de
Bagdad et Omeyyades de Cordoue, entre le calife et l’émir, allait me délivrer
de celle que je redoutais me combla de joie.
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