La confession impériale
affaires
intérieures seraient allées en se détériorant. J’avais songé à imposer à Louis
de renoncer à sa chère Aquitaine pour réintégrer sa famille et sa vraie
capitale, mais il avait manifesté de telles réticences que j’avais renoncé. Il
m’était d’ailleurs précieux là où il se trouvait, et cette mesure aurait pu
être prise pour l’annonce d’une abdication.
J’avais quelque raison de m’inquiéter de mes
capacités à administrer mon empire. Je ne jouissais de mes facultés physiques
et mentales qu’en apparence. Le mystérieux embryon qui me grignotait de
l’intérieur me mettait en garde contre un excès de confiance en mon avenir.
C’est pourquoi j’ai procédé à la rédaction
d’un nouveau testament destiné à la dévolution de mes biens mobiliers et
immobiliers : mes domaines épars dans la Francie du Nord et un trésor
inestimable. Les objets précieux figurant dans la chapelle palatine échappent à
cet inventaire ; ils appartiennent à l’Église et à Dieu. Quant aux
manuscrits de ma bibliothèque, rassemblés par Alcuin et Éginhard, Écritures
saintes, antiphonaires et hymnaires, ils seront dispersés aux enchères et le
fruit de leur vente consacré aux indigents.
J’ai réservé aux basiliques de Rome et de
Ravenne les deux plus belles pièces de mon trésor : des tables d’argent
avec, gravées sur le plateau, des vues cavalières de ces deux cités.
Je n’ai pas oublié mes proches et mes plus
humbles serviteurs, qui constituent en quelque sorte pour moi une famille
d’adoption. J’ai pris des mesures draconiennes pour que mes concubines et leur
progéniture de mon sang soient pourvues.
Le dernier de mes bâtards, né d’une fille
d’origine saxonne, Adalinde, est venu au monde l’année 810. Je lui ai donné le
nom de Thierry. Avec lui s’interrompt à jamais ce qu’Éginhard appelle mes
« frasques ». C’est un gros garçon rieur et gourmand. Je le prends
parfois sur mes genoux ou le mène par la main jusqu’à ma ménagerie.
Si j’invite parfois une servante à me
consacrer une nuit, c’est pour le plaisir innocent de laisser mes mains courir
sur sa chair souple, tiède et odorante ou, les nuits d’hiver, pour réchauffer
mes vieux os.
4
Les ennuis que m’occasionnaient les incursions
des Danois allaient croître après mon couronnement.
Si je faisais confiance à Louis pour monter la
garde sur les frontières du Sud, le soin me revenait de faire de même sur
celles du Nord où ces pillards venus des mers froides s’en donnaient à cœur
joie.
Accompagné de Walla, je consacrai des semaines
d’automne à inspecter nos défenses côtières sur l’Atlantique et la Manche. Que
de longues et grises journées à chevaucher sur des rivages désolés, dans la
pluie et la brume… J’arrêtais parfois mon cheval en haut d’une falaise et, sous
les coups de fouet du vent, je passais de longs moments à regarder des volées
d’oiseaux de mer planer sur cette immensité déserte qui faisait renaître en moi
le vertige de cette infinitude du temps et de l’espace, dont Alcuin avait
instillé mes méditations.
On les appelle
indifféremment Danois ou Vikings. Leur pays d’origine est la péninsule du
Danemark et les innombrables îles qui l’entourent, jusqu’aux marges du
mystérieux royaume de Thulé. J’ai longtemps nourri l’ambition de prolonger mes
conquêtes jusqu’à ces terres lointaines pour y faire rayonner la gloire du
Seigneur, mais à chaque jour suffit sa peine.
Leur territoire ne se borne pas au royaume du
Danemark et à ses îles ; il déborde sur les côtes de la Suède et de la
Norvège. Alors que, dans sa jeunesse, il guerroyait dans le nord de la
Westphalie, Walla avait pris l’initiative d’une incursion pacifique au-delà de
l’Eider, frontière naturelle avec le Danemark.
Il avait passé, me dit-il, quelques jours à
chevaucher, en tête d’une petite escorte, à travers ces plaines interminables
couvertes de forêts et de marécages, sans se heurter au moindre détachement
armé. Il n’avait rencontré que des villages de pêcheurs et de forestiers qui
habitaient des masures de torchis couvertes de joncs. Il s’était abstenu de poursuivre
sa randonnée jusqu’aux villes, ce qui eût risqué de provoquer des réactions
dangereuses.
À ce jour, les
navigateurs danois se sont bornés à remonter les fleuves et à envoyer leur
lourde cavalerie au pillage des villages et des établissements
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