La confession impériale
pape
et, comme un simple écuyer, le conduire jusqu’au palais où son épouse, ayant
sonné le ban des abbés, des évêques et de sa domesticité, l’attendait au milieu
de la cour déblayée de sa neige, dans un concert d’alléluias.
Je ne fus pas admis à participer au colloque
qui suivit, entre le pape Étienne, sa curie, et mon père entouré de ses ducs et
comtes, mais n’en gardai pas de rancune à mon père, d’autant que j’ignorais les
motifs de cette visite et que j’eusse été incapable de formuler des avis.
Le duc Rothard se contenta de me traduire l’essentiel
de ces entretiens. Ils pourraient se résumer en quelques mots :
« Sire, consentez-vous à défendre Rome, ses États et la cause de saint
Pierre contre la race ignoble des Lombards ? »
— Pour présenter sa requête, ajouta
Rothard, le pape s’est prosterné devant ton père qui l’a aidé à se relever en
l’assurant de sa bonne volonté et de son soutien inconditionnel. Ils se sont
embrassés et ont prié ensemble, côte à côte.
Le roi n’attendit pas longtemps les
témoignages de la reconnaissance d’Étienne : ce fut la confirmation, dans
la basilique de Saint-Denis, près de Lutèce, du sacre de mes parents. Nous
fûmes, Carloman et moi, inclus dans ce rituel. Désormais, qui oserait contester
au roi son pouvoir serait frappé d’excommunication. Je reçus la couronne de
prince à Noyon et mon frère à Soissons.
Parenthèse :
— Je te prie, Éginhard,
de m’expliquer les raisons qui ont permis à des historiens d’écrire qu’il n’y a
rien à retenir de ma jeunesse. Toi-même, mon ami…
— Sire,
faites-moi la grâce de croire que si, dans mes écrits, je n’ai mentionné que
les événements importants qui ont marqué vos débuts dans la vie, c’est que la
plupart des gens qui auraient pu en témoigner ont disparu…
Il semble que le
pontife se soit plu en Francie, au point qu’il y demeura près d’un an. Ce temps
s’est passé en visites d’églises, de sanctuaires monastiques, de scriptoria, d’écoles… On semait sous ses pas, selon la saison, des fleurs ou des
verdures, en agitant des rameaux comme pour l’entrée du Christ à Jérusalem. À
croire qu’il songeait à renoncer au siège de l’apôtre Pierre pour s’installer
en Francie, y créer une nouvelle Rome et laisser l’ancienne livrée aux hordes
d’Aistolf…
Mon père me faisait pitié.
Un jour où il était en veine de confidences,
il avoua à la reine, en ma présence, l’embarras dans lequel l’avait plongé la
promesse faite à Étienne. C’est sans enthousiasme mais par respect de la parole
donnée qu’il eût rassemblé ses troupes pour marcher contre les Lombards, sinon
pour leur faire sentir le poids de ses armes, du moins pour leur faire éprouver
sa toute-puissance et prévenir leurs méfaits. Il se serait heurté au mauvais
vouloir de ses ducs et de ses comtes qui ne voyaient pas la nécessité d’une
expédition dans ces terres lointaines où certains avaient des amis ou de la
parenté.
Il s’ajoutait à ces réticences celles de son
épouse. La reine Bertrade voyait d’un mauvais œil une attitude hostile envers
le roi Aistolf pour lequel, j’ignore pourquoi, elle éprouvait de la sympathie.
Seule solution qui s’imposât à mon père, plutôt
que de se lancer étourdiment dans un conflit dont il n’attendait rien de
favorable : temporiser. Sa foi et sa promesse lui imposaient un devoir de
protection ; sa raison le dissuadait de s’engager dans cette aventure,
d’autant qu’il avait fort à faire en Aquitaine. D’ailleurs, rien ne
pressait : les Lombards n’étaient pas aux portes de Rome…
Il estima utile de jauger les intentions du
roi Aistolf en envoyant une délégation à Pavie. Elle fut reçue froidement et
congédiée avec des propos humiliants et des menaces.
Dès lors, la guerre
semblait inévitable.
Mon père en prit la décision dans son domaine
de Quierzy, alors qu’Étienne poursuivait sa tournée pastorale à travers la
Francie. Je puis témoigner, étant présent, de la conviction qu’il mit à imposer
ses vues. La reine et les grands durent s’incliner, non sans regimber.
Son alliance avec le Saint-Siège allait donner
à la mission chrétienne de mon père une dimension nouvelle : il était
désormais le patrice de Rome, avec l’obligation de porter secours au pape
en toutes circonstances et en tous lieux : une sorte de garde du corps.
Quant à ma mère,
Weitere Kostenlose Bücher