La confession impériale
accompli ma mission. Vous ne pouvez m’en demander plus.
Dans les jours qui suivirent la reddition de
Pavie, mon père fit reconduire Étienne à Rome par une forte escorte de
cavalerie, puis nous nous en retournâmes par le même chemin qu’à notre venue.
Dans toutes les villes que nous traversâmes, nous étions accueillis par des
ovations, des bouquets de fleurs, des invitations à savourer les vins de
Lombardie… À croire qu’Aistolf ne faisait pas l’unanimité dans ses conflits
avec le Saint-Siège.
L’image la plus saisissante que je garde de
cette campagne reste la cérémonie au cours de laquelle le roi des Lombards fit
remettre à mon père les clés de sa capitale, Pavie. Il était vêtu à la manière
des souverains de Byzance : tunique brodée d’or, retenue à l’épaule par
une fibule faite d’une grosse émeraude, diadème d’or enchâssé de diamants sur
le front. Ses brodequins de soie rouge ornés de pierreries jetaient à chacun de
ses pas de petits éclats de lumière, comme s’il foulait un lit d’étincelles.
Sous ses apparences doucereuses et ses
sourires lénifiants on pouvait deviner un personnage à double face, une sorte
de Janus qui disait blanc et pensait noir. « Nous allons avoir, me
disais-je, à nous en méfier. »
Étienne avait eu
raison de mettre mon père en garde contre ses illusions.
Quelques mois plus tard, des émissaires de la
colline vaticane franchirent de nouveau la frontière pour demander du secours
contre de nouvelles agressions d’Aistolf qui avait fait avancer son armée
jusqu’aux portes de Rome. Dans son message pathétique, Étienne déclarait :
« Le patrice des Romains que vous êtes, sire, se doit de défendre la
demeure où saint Pierre repose selon sa chair ! »
Fidèle à ses promesses, mon père organisa une
nouvelle expédition punitive. Elle prit la route de l’Italie au mois de mai,
l’an 756, date de mes quatorze ans, mais sans ma présence.
Il avait décidé que mon précepteur mettrait à
profit les bonnes dispositions que je manifestais pour l’histoire en général et
l’Italie en particulier, et que j’en apprendrais plus de lui que de cette
nouvelle aventure.
Il profita de cette sage décision pour
m’informer du statut singulier qui régissait la Péninsule. Elle était, me
dit-il, placée pour une grande part sous la tutelle fictive de Byzance et
faisait donc partie de l’Empire d’Orient.
Comme je trouvais singulier que le basileus se
montrât indifférent aux événements dont l’Italie était le théâtre, mon
précepteur me répondit :
— La raison en est simple. Malgré
l’étendue de ses territoires, l’Empire byzantin est un colosse fragile. L’autorité
du basileus est souvent ébranlée par des querelles intestines, ses relations
avec les papes sont tendues et il doit sans cesse surveiller ses frontières
contre des hordes de Bulgares et les cavaliers de l’Islam.
Il me révéla le nom du basileus qui régnait à
cette époque : Constantin, dit Copronyme, ce qui signifie ordurier…
Le départ de
l’expédition avait singulièrement changé le comportement de la reine Bertrade
envers son entourage, et moi en particulier, qui lui tenais tête quand elle
passait les bornes de son autorité tutélaire.
— Ce qui me surprend, me confia mon
précepteur, c’est que tu ne t’en sois pas aperçu plus tôt. Dès que le roi
s’absente, ne serait-ce que quelques semaines, l’attitude de la reine change
brusquement, comme si elle était investie à jamais du gouvernement et que son
veuvage lui fût annoncé par les devineresses dont elle s’entoure. Sitôt le roi
de retour, elle revient à ses ouvrages de toile.
Elle manifestait son autorité dans toutes les
branches du gouvernement, imposait sa volonté aux intendants pour la gestion
des domaines, aux officiers paladins pour leur surveillance et aux évêques,
qu’elle traitait comme des domestiques à sa solde, pour le respect de la foi et
la discipline monastique.
La décision du roi l’avait contrariée. Elle
devait voir dans ma présence, je ne sais pourquoi, un obstacle à son excès
d’autorité et à ses caprices, un opposant, un juge peut-être, ce qu’à Dieu ne
plaise !
Je m’ouvris de mon trouble à mon précepteur.
— Il semble, me dit-il, que ta mère ait
une préférence pour ton frère, le prince Carloman, beaucoup plus jeune et
malléable que toi. Elle paraît vouloir le façonner à son image, alors
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