La confession impériale
résistance, soit qu’ils eussent disparu, la gorge tranchée.
Ceux qui s’acharnent dans leur mission, que Dieu les ait en sa sainte
garde !
En retrouvant mes
domaines et ma chère épouse, je ne me faisais guère d’illusions sur la
soumission de ces tribus à la foi chrétienne. Les baptêmes spontanés ou
provoqués n’étaient qu’un feu de paille. Peu de temps après ce cérémonial
auquel ils ne comprenaient que peu de chose, les convertis retournaient à leurs
croyances et à leurs coutumes comme un chien à sa vomissure.
L’événement qui me fut le plus sensible fut la
mort de Sturm, l’abbé bavarois de Fulda, en forêt de Bochonie, dans la région
de la Hesse. Une trentaine d’années auparavant, il avait, avec le concours de
Boniface, érigé ce monastère et cette église qui passent aujourd’hui pour être
exemplaires. Vieux et malade, Sturm avait transmis son ministère et sa foi à un
moine d’origine saxonne, Willehad qui, aidé par l’architecte et futur abbé
Ratgar, a donné à Fulda des dimensions et un essor qui tiennent du prodige.
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Hildegarde avait décidé que ce serait un
garçon ; c’en était un ; elle lui avait donné le nom de Louis.
Les matrones et quelques servantes
prétendirent qu’il me ressemblait, mais ce ne sont que billevesées de vieilles
femmes. Un enfant au berceau ne ressemble à personne ; ce n’est rien
d’autre qu’une ébauche d’homme mal façonnée.
Mon aîné, Charles, en revanche, est
« tout mon portrait », comme on dit. Non seulement il a hérité de mes
traits, mais il est la réplique vivante de l’enfant que j’étais, avec son caractère
pétri de défauts : caprices, obstination, irascibilité, mais aussi de
quelques qualités que je tairai.
De retour, je passai la majeure partie de
l’hiver à Worms, sur le Rhin. Je m’interrogeai sur la nature et le caractère de
ce personnage mystérieux, Widukind, que j’avais rencontré naguère entre deux
audiences au palais, et qui m’avait fait forte impression. On en parlait
beaucoup autour de moi mais personne ne pouvait me fournir de données précises
à son sujet. Un prisonnier capturé lors d’une escarmouche dans les parages de
Menfull, sur la Weser, m’en apprit davantage sur lui sans que j’eusse à le
brutaliser. C’était, disait-il, non un roi, mais un chef, un meneur d’hommes
et, ce dont je doutais, un stratège et un organisateur de premier ordre.
— Crois-tu, demandai-je au captif, que je
pourrai un jour l’affronter dans une bataille autre que des échauffourées ?
— Sans nul doute, me dit-il. Il attend
son heure, et, quand il se sera décidé, tu auras du souci à te faire…
— Où se trouve-t-il aujourd’hui ?
— Demande-moi plutôt où se trouve le
vent ! Peut-être à la cour du roi de Danemark, comme d’habitude, après
chacune de tes campagnes. On dit qu’il y a des parents et de nombreux amis.
S’il te prenait l’idée d’aller l’y traquer, tu ne le trouverais pas. Il est
comme chez lui en Suède et en Norvège, peut-être même au royaume de Thulé, dans
les brumes et les neiges du Nord.
S’il m’arrivait d’être confronté à ce
personnage insaisissable, c’était dans mon sommeil. J’en sortais avec des
sueurs froides et l’impression de m’être colleté avec un démon aux ailes de feu
de la mythologie germanique.
Ma première
résolution, le printemps venu, fut de m’attaquer à Widukind, avec l’espoir
qu’il ne s’envolerait pas.
Au cours de mon
hiver à Worms, j’avais pris une autre décision importante : donner à mon
royaume une capitale et un gouvernement central. Les déplacements d’une villa à
l’autre m’étaient devenus pénibles. Mes capitulaires portaient le nom de lieux
épars : Quierzy, Laon, Verberie, Soissons, Mayence, sans compter ceux que
je rédigeais en terre étrangère.
C’est de mon père que je tiens cette idée
qu’il avait eue sur sa fin et qui avait germé en moi. J’allais la réaliser sans
tarder.
Connue pour ses sources d’eaux chaudes, la
modeste bourgade d’Aix était en partie occupée par les ruines d’un ancien
palais gallo-romain, l’ Aqua Granni, en langue germaine Aachen. Je
gardais un souvenir agréable du séjour que j’y avais fait en compagnie de mon
père et de mon frère Carloman. L’amateur de bains que j’étais se réjouissait à
l’avance des plaisirs qui m’y attendaient.
À la fin du printemps, je me rendis à Aachen
en compagnie de
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