La confession impériale
ma reine. Elle était pleinement d’accord avec mon choix, lasse
qu’elle était, comme moi, de nos perpétuelles pérégrinations.
Je lui avouai ma déception : l’état de
ces ruines me décourageait. Le cantonnement des légions romaines et les
prélèvements sur les habitants avaient causé des déprédations plus graves que
je ne l’imaginais. Il y avait de quoi renoncer à ce projet. Je m’y accrochai
avec cette obstination qui est une marque de ma nature. Hildegarde m’en sut
gré.
Aix se situe sur une colline dominant une
plaine marécageuse, au confluent de deux rivières de modeste importance, la
Ponelle et la Pau, qui se jettent dans un affluent du Rhin, la Würm. De l’ancien
palais ne restent, après le déferlement des invasions barbares des siècles
passés, que quelques murailles et l’imposante tour dite de Granus, pour
témoigner de l’importance de ces constructions.
Autre avantage de ce site : le pont de
pierre sur la Würm, qui facilite les communications avec de grandes cités.
Sous la végétation
sauvage qui avait envahi ces ruines, je retrouvai trace du bref séjour que j’y
avais effectué dans mon enfance avec ma famille : une grande salle aux
colonnes de marbre, le réduit où ma mère faisait de la toile avec ses dames,
celui où mon père passait du bon temps avec ses concubines… J’ai connu là des
jours de grand froid et des parties de chasse revigorantes.
Pour autant qu’il m’en souvienne, le roi Pépin
n’eut jamais réellement l’intention de faire de ces lieux sa capitale.
D’ailleurs une fin annoncée l’avait privé de donner suite à cette idée qui ne
l’avait qu’effleuré. Elle allait constituer une de mes préoccupations
essentielles.
Je décidai de donner
à cet ancien palais une autre destination que celle d’une simple halte de
voyage hors mes frontières. J’en ferais, avec l’aide d’Éginhard, surintendant
de mes constructions, ma résidence principale et le siège de mon
gouvernement ; j’y attirerais des savants et des lettrés ; j’y
créerais une basilique capable de rivaliser en majesté et en richesse avec
Saint-Vital, de Ravenne, qui m’avait laissé un souvenir ébloui : un lieu
de paix, de méditation et de culture plus qu’une caserne.
Un poète de ma
maison allait donner une dimension lyrique, emphatique et remarquable à mon
projet en écrivant : Ville d’Aix, ville royale / Siège principal du
royaume / Chante les louanges du roi des rois / Toi qui te réjouis de la
présence de Charles le Grand… C’était la première fois que je voyais le
qualificatif de « Grand » attaché à mon nom, ce dont j’éprouvai une
légitime fierté mais non de l’orgueil, un sentiment qui m’est étranger.
À la fin de l’année
780, c’est l’Italie qui allait m’accaparer. J’y partis avec un triple
projet : rassurer par ma présence armée le pape Adrien qui continuait à
m’assaillir de ses jérémiades, lui confirmer ma fidélité et surtout donner à la
Péninsule un nouveau roi : mon fils cadet, Pépin, fils d’Hildegarde.
Quand je lui
présentai Pépin, Adrien se montra perplexe. Un garçonnet, roi d’Italie !
Je le rassurai : bien conseillé, assuré d’une sage tutelle, il pourrait
faire de cet imbroglio de duchés et de comtés qu’était l’Italie un royaume
unifié et puissant, capable de s’opposer aux récriminations de Byzance.
Au cours des festivités de Pâques 781, Adrien
consentit à confirmer le baptême de mon fils, à lui donner l’onction royale et
à le coiffer de la couronne.
J’attendais des troubles publics de cet
événement, mais la population, sa surprise passée, accepta la présence de ce
prince franc qui allait mettre fin, pensait-on, à l’anarchie, mais aussi à mes
incursions armées périodiques.
Je confiai Pépin aux
soins tutélaires de mon cousin Adalhard, fils de mon oncle Bernard. Homme
d’expérience, affectueux et pondéré, il allait lui servir de précepteur et de
conseiller.
Avant de repartir, je demandai à Adrien de me
tenir au courant des manœuvres inquiétantes du roi de Bavière, Tassilon. Il
m’avait laissé entendre que ce souverain était importuné par les promesses
qu’il m’avait faites un peu à la légère. Je retrouvais dans ce personnage,
mélange d’hypocrisie et de versatilité, le mauvais esprit des rois lombards.
Sans manifester la moindre intention de lui ôter sa couronne, j’allais avoir à
m’en méfier. À la moindre
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