La confession impériale
maintienne dans ses États une force armée
permanente ?
Appliquer à la lettre les donations effectuées
par mon père relevait de l’illusion, il aurait dû le comprendre. J’y voyais le
fruit de tractations et de complaisances qui m’échappaient du fait qu’étant
trop jeune je n’y avais pas pris part.
Il est vrai qu’on s’agitait beaucoup autour de
lui. Les Byzantins, sortant de leur somnolence, lui demandaient des
comptes ; les Lombards le menaçaient d’un soulèvement ; les ducs de
Bénévent, de Chiusi, du Frioul s’armaient et la riche Vénétie persistait à
rester dans le giron de Byzance.
Je ne daignai pas répondre à la requête
d’Adrien, ce qui lui laissa supposer que j’avais sur les bras des affaires
d’une autre importance.
Parenthèse :
Le courroux
d’Éginhard m’amuse. Il me reproche d’oublier que je suis le patrice des Romains
et donc le protecteur des intérêts de Sa Sainteté.
— Et toi, mon
ami, ai-je rétorqué, aurais-tu oublié que les hordes saxonnes étaient sur le
Rhin, que les Maures dévastaient les environs de Narbonne et massacraient mes
sujets, que l’émir de Cordoue était sur le point de passer les Pyrénées, comme
au temps de Charles Martel ? Alors, dis-moi, où se trouvait la
priorité ?
— Vous ne
pouviez, sire, rester insensible à la détresse de Sa Sainteté !
— Crois-tu que
cette situation m’ait laissé indifférent ? Ma réaction viendrait à son
heure, c’est tout ce que je puis te dire, mais il se fait tard. Reprenons…
La
« priorité » que j’opposais à Éginhard était évidente : c’est
contre les Saxons que j’allais devoir porter mes forces. Les courriers que je
recevais des bords du Rhin étaient des plus inquiétants.
Peu après mon retour d’Espagne, après avoir
quelque peu soulagé la population de ses misères, je rassemblai à Auxerre une
armée composée en grande partie de combattants venus d’Alamanie et des contrées
occidentales du royaume. Il n’était que temps de réagir. Les hordes de Widukind
préparaient des barges pour passer le fleuve et fondre sur la Francie. Me
serais-je attardé sur les marches d’Espagne, j’eusse trouvé à mon retour le
nord de la Francie envahi et dévasté et des villes comme Mayence ou Worms occupées.
Commandée par les meilleurs de mes officiers
et menée bon train, cette campagne fut brève et efficace. Quelques colonnes se
portèrent sur les points de rassemblement ennemis et les dispersèrent après des
combats qui nous occasionnèrent peu de pertes. Talonné par notre cavalerie,
l’opposant se fondait dans les profondeurs des forêts, si bien que cette
réaction ressemblait à une chasse à courre plus qu’à une guerre.
Bien décidé à mettre
ces rebelles à genoux, je me mis à mon tour en campagne avec l’armée la plus
importante que j’eusse jamais commandée.
Nous quittâmes la Francie au printemps de
l’année 779, après un gigantesque rassemblement à Düren, en Rhénanie. Je
traversai pour m’y rendre des campagnes qui se ressentaient encore de la
disette de l’année précédente, ce qui, en entravant nos réquisitions en vivres,
ralentissait notre progression.
Passé le Rhin, nous avions trouvé un spectacle
de désolation, les hordes de Widukind ayant réduit les populations rurales à la
misère. Une rage vindicative me tenaillait le cœur devant les villages
incendiés, les églises et les monastères rasés, les champs dévastés et les
arbres fruitiers abattus. En cours de route et aux haltes du soir, nous étions
assaillis par des malheureux venus quémander une écuelle de soupe, une tranche
de pain ou un os à ronger. Une odeur de mort flottait sur ces contrées.
Trois semaines après notre départ de Düren
nous sommes entrés pour la première fois au contact avec l’ennemi dans les
parages de Bocholt, sur la rivière l’Aa.
Alors que nous installions notre camp dans un
site agreste et allumions nos feux, nous fûmes assaillis par quelques centaines
de guerriers dévalant des collines à sons de trompes et en hurlant. Il fallut
en hâte reprendre nos armes, reformer nos unités et prendre des dispositions
pour arrêter ce flux. Les brigands se contentèrent de danser, de chanter, et de
nous menacer. Ils repartirent en nous volant une dizaine de chevaux qui
s’abreuvaient à la rivière. Nous tuâmes quelques imprudents qui, s’étant
approchés pour nous narguer en se frappant la poitrine, avaient expiré
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