La confession impériale
témoigner de ce que je n’ose appeler une
victoire.
Le massacre de Verden, inspiré par la fureur
et un esprit de vindicte lancinant, allait laisser des traces dans ma mémoire.
Par la suite, il m’arriva la nuit de me réveiller en sursaut, haletant, au
souvenir de ces monceaux de têtes coupées, de corps décapités agités de
derniers soubresauts, de ces flaques de sang que piétinaient les bourreaux, et
du silence poignant de la foule.
Il s’y ajoutait une hantise : retrouver
Widukind et lui faire éprouver l’invincibilité de mes armées. J’allais attendre
longtemps…
4
La quarantaine venue me trouvait en pleine
possession de mes capacités physiques et mentales, ce dont, chaque jour ou
presque, je remerciais Dieu. C’est un âge qui incite à se pencher sur son passé
et à sonder les perspectives de l’avenir.
Sans être d’une santé florissante, je ne
souffrais d’aucune maladie et les événements, s’ils me tourmentaient souvent,
ne m’abattaient jamais. J’avais conservé intact l’usage de mes membres, me
comportais en selle comme à vingt ans, pour la chasse ou la course, et en
remontrais à mes jeunes officiers.
Je n’avais nul motif de me plaindre de ma
famille.
Hildegarde faisait souffler autour de moi un
air de printemps, avec parfois des sautes d’humeur aussi brèves que des averses
d’avril, qui dissipaient les brumes. Plus jeune que moi d’une poignée d’années,
toujours séduisante en dépit d’un léger embonpoint qui s’accommodait de sa
haute taille, le blond de sa chevelure se mariait encore au rose de sa chair. Elle
assumait avec bonheur son rôle de génitrice et garnissait notre gynécée de
princes et de princesses qui s’illustreraient un jour.
Non sans quelques coupes claires, je m’étais
entouré d’une assemblée d’officiers palatins, de conseillers, d’intendants
fidèles, honnêtes et durs à la tâche. À l’occasion, je leur prouvais ma
reconnaissance par des générosités qui n’avaient pas toujours l’agrément de ma
reine, laquelle veillait comme un dragon sur le trésor royal.
À Aix, le chantier
de mon futur palais n’avançait pas aussi vite que nous le souhaitions.
À chacune de nos visites, Hildegarde s’en
prenait à Éginhard, au maître d’œuvre, aux chefs d’équipe, voire aux ouvriers. Elle
se livrait parfois à des purges parmi ces derniers qui, à ses dires, passaient
plus de temps à regarder voler les papillons qu’à manier ciseau ou truelle. Elle
en avait surtout contre Eudes, notre maître d’œuvre, qu’elle accusait de
manquer d’autorité, et contre Éginhard, auquel elle reprochait de s’intéresser
davantage à la littérature qu’au chantier. Sans mon intervention, elle les
aurait licenciés.
— Qu’y puis-je ? me dit Éginhard. Le
chantier progresse lentement mais il progresse. Si certains de nos ouvriers
manquent de cœur à l’ouvrage, c’est qu’ils ont à se plaindre de la modicité de
leur salaire. C’est à vous, sire, qu’il appartient d’obtenir des résultats plus
probants.
Nonobstant les protestations de la reine, je
décidai d’augmenter sensiblement leur salaire et n’eus pas à le
regretter : le chantier y gagna en activité. Les tâcherons m’en
remercièrent, dos rond et bonnet bas. Quelques mois plus tard, je constatai
qu’il avaient curé et remis en eau la piscine. J’y pris avec délice mon premier
bain, et Hildegarde ne bouda pas son plaisir.
Les visites que
j’attendais avec le plus d’impatience étaient celles de mes missi dominici, qui
parcouraient mes domaines avec une célérité et une abnégation exemplaires. Ces
redresseurs de torts, en m’exemptant de sévir moi-même contre l’indolence ou la
tyrannie de mes vassaux, me tiraient une épine du pied.
Cette institution remontant au règne du roi
Mérovée était tombée en désuétude sous celui de mon père ; je la ranimai.
Triés sur le volet, ces envoyés du Seigneur et du roi partaient en trio :
deux moines et un laïc, ce qui facilitait la fiabilité de leur mission :
ils se surveillaient les uns les autres, évitant ainsi les risques de
complaisance ou de corruption. Lorsqu’ils rendaient visite à des comtes
irascibles ou violents qui contestaient leurs pouvoirs, leurs inspections
n’étaient pas exemptes de risques. J’ajoute que, rémunérées par mes vassaux,
celles-ci ne coûtaient rien au trésor royal.
J’avais confié à
Alcuin l’éducation de ma progéniture,
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