La confession impériale
légitime ou non, et la création, dans des
abbayes, d’écoles pour les enfants de toutes catégories sociales. Elles étaient
très fréquentées et ne demandaient qu’à se multiplier. C’était une des
priorités de mes fonctions régaliennes. Je m’y consacrai avec une sorte de
passion, persuadé que l’homme ne peut s’améliorer que par la connaissance.
Aidé par trois autres moines : Sigulf,
Fridugise et Witton, Alcuin menait rondement les missions que je lui avais
confiées. Il était devenu un personnage important, une sorte de ministre
chargé, en outre, de donner un lustre intellectuel à ma cour, où l’on entendait
plus souvent le cliquetis des éperons et des épées que des mots d’esprit.
Avec mon accord, il avait créé, en plus des
écoles, une institution au titre prétentieux mais aux nobles ambitions :
l’académie Palatine. On y donnait des exposés et des entretiens ; on y
commentait des lectures ; on s’y livrait à des controverses animées,
auxquelles je ne dédaignais pas de me mêler.
Alcuin veillait constamment au travail des
copistes de mon scriptorium. Il en sortait des ouvrages soignés qui
trouvaient place dans ma bibliothèque, comme ces modèles : le Livre
pastoral, le Traité des vices, des homélies et des ouvrages
profanes, le Daphnis et Chloé de Longus, par exemple.
À l’incitation d’Alcuin, je suscitai une
révolution dans la calligraphie en introduisant dans mes ateliers de copistes
une nouvelle écriture : la Caroline, un nom inspiré du mien :
en latin carolus.
— Il faudra bien, me dit-il un jour,
renoncer à l’écriture traditionnelle, notamment à ces capitales héritées de la
Rome antique, déformées par le temps et les hommes. C’est une écriture si
confuse que nous avons souvent du mal à la déchiffrer.
Il me montra un poème d’Horace qu’il avait
transcrit en Caroline et en minuscules. Le texte était parfaitement
lisible, sans fioritures, chaque lettre et chaque mot séparés. Nous n’avons pas
tardé à introduire cette nouvelle calligraphie dans nos scriptoria. Avec
le temps, les monastères d’Occident et les secrétariats des rois s’en
inspirèrent. C’était un grand pas sur la voie de la civilisation et de
meilleurs rapports entre les nations.
Je ne tenais pas
rigueur à Alcuin d’avoir renoncé, par horreur de la guerre, à m’accompagner en
campagne. Au cours de son bref séjour dans une abbaye du sud de la Westphalie,
il avait occupé une partie de son temps à s’informer des croyances, des
coutumes et des mœurs des peuplades païennes, à recueillir leurs chants et
leurs invocations rituelles aux forces de la nature.
Il me laissa stupéfait le jour où, dans les
jardins de Quierzy, au cours d’une promenade, il entonna un chant de guerre
qu’il avait composé, musique et paroles, pour accompagner la marche de mes
armées…
Troisième partie
1
Jours sans soleil, nuits sans sommeil
1
Palais
d’Aix : été 800
Quelques mois me
séparent d’un événement qui me flatte mais que je redoute : mon
couronnement. Le roi des Francs que je suis va devenir l’empereur Charles le
Grand, l’égal du basileus de Constantinople et du calife de Bagdad.
Empereur, je le suis déjà en fait. J’ai
pacifié mon royaume, imposé une nouvelle Pax romana à l’Occident,
retrouvé les limites des anciens Césars, planté la Croix en Germanie. Cette
cérémonie de couronnement n’est que la consécration d’une situation acquise
depuis des années. La soixantaine approchant, j’aspire à me retirer dans un
monastère ou dans la cabane d’un solitaire, comme dans ma jeunesse, plutôt que
de devoir donner audience à des ambassades ou veiller à la bonne tenue de mes
armées. On veut faire de moi un des maîtres du monde alors que je n’ai pas les
épaules d’Atlas.
Aujourd’hui une
lourde fatigue, consécutive à une inspection de près d’un mois sur les côtes de
la Francie, me prive du plaisir que j’aurais éprouvé à poursuivre la relation
de mes faits et gestes. J’ai d’ailleurs autorisé Éginhard à prendre un congé au
milieu de sa famille, dans une ville de la Hesse. Il est encore jeune et
fringant, mais je lui ai imposé une tâche si pénible que j’ai craint de ne pas
le voir reprendre le joug. Un message reçu ce matin m’informe, Dieu merci, de
son prochain retour.
En écrivant que mon royaume est pacifié, j’omets
quelques frictions frontalières. Mon fils, Louis, affronte aux
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