La confession impériale
foudre.
J’en ai appris la nouvelle sur le chemin du
retour, après une expédition en Saxe. Elle demeurait alors dans notre petite
résidence de Théodonisville, près de Metz. Un jour brumeux de printemps, alors
qu’elle revenait d’une partie de chasse dans la grande forêt de Moyeuvre, une
pluie glacée l’avait surprise. Après des jours à se battre contre la fièvre,
elle mourut des suites d’une pleurésie.
Je lui fis des obsèques solennelles en
l’église Saint-Arnoul de Metz, qu’elle avait choisie pour sa sépulture, et
chargeai Alcuin de rédiger son épitaphe. La cérémonie achevée, je laissai
d’importantes donations au clergé de la basilique et aux moines des environs,
pour prier au repos de son âme.
Les premiers mois de
mon veuvage me furent pénibles. J’avais le cœur endurci à ce genre d’épreuve,
mais quelques fibres restaient encore sensibles à la douleur.
Depuis quelques années, Hildegarde et moi
vivions peu souvent ensemble, pris que j’étais par mes campagnes et mes
tournées d’inspection, mais il ne se passait pas de semaine sans que nous
échangions des courriers affectueux, si bien que j’avais l’impression d’une
présence qui me réconfortait et me rassurait.
Elle disparue, je restai comme une âme en
peine, m’accrochant comme aux débris d’un naufrage à nos souvenirs heureux,
ceux d’Italie notamment, où, dix ans auparavant, elle m’avait suivi alors que
j’assiégeais Pavie.
Nous étions devenus inséparables. Qu’aurais-je
pu lui reprocher ? Modèle de vertu, elle poussait la complaisance jusqu’à
fermer les yeux sur mes frasques avec les servantes du palais. Elle siège à la
droite du Seigneur, dans ce paradis dont elle parlait avec tant de chaleur.
Trop habitué à avoir
toujours une présence féminine dans ma vie et soucieux de voir mon gynécée
s’enrichir de présences vagissantes, je ne pouvais rester longtemps veuf.
Les événements de Germanie me contraignirent à
passer l’hiver des années 783-784 dans mon château d’Herstal, sur la Meuse, où
je rongeai mon frein dans l’attente du printemps et de la reprise des
hostilités.
Un dimanche, au
retour de la messe célébrée dans la chapelle du château, je constatai que la
cour était envahie par une forte escorte qui menait grand tapage. J’allais m’informer
des motifs de cette intrusion quand un officier qui paraissait en être le chef
s’approcha de moi, me salua une main sur le cœur, et se présenta : Rodolphe,
duc de Franconie.
— Pardonnez-moi, sire, me dit-il, de me
présenter d’une façon aussi cavalière et sans m’être fait annoncer. En
apprenant votre séjour à Herstal, je n’ai pu résister à l’honneur et au plaisir
de me présenter à vous.
— Vous êtes pardonné, lui répondis-je.
Mon plaisir est égal au vôtre. Soyez le bienvenu.
Cette visite
inopinée allait être lourde de conséquences.
Rodolphe était accompagné d’une partie de sa
famille, dont l’aînée de ses filles, Fastrade, était une de ces beautés de
Germanie qui n’ont pas d’égale. Avec ses épaules larges, ses nattes d’un blond
cendré, son visage d’un ovale parfait, le diadème couronnant son front ample et
lisse, elle semblait sortir d’une enluminure. Il ne lui manquait qu’une colombe
sur l’épaule et un bouquet dans les bras pour ressembler à une déité païenne.
Dans les jours qui suivirent, je lui fis une
cour discrète ; elle y répondit de bonne grâce. Quelques promenades à
cheval dans la neige eurent vite créé entre nous un semblant d’intimité qui se
confirma, au retour d’une chasse à l’ours, par un premier baiser. Il fallut
moins d’une semaine pour me décider à demander à Rodolphe la main de Fastrade.
Il s’en montra surpris, mais je n’avais guère de doutes sur les intentions qui
lui avaient inspiré sa visite. Cette rouerie m’importait peu et ne pouvait me
décourager.
Nous vivions en ce
temps-là ce qu’un historien appellerait les années rouges.
Sorti de sa tanière, Widukind avait repris les
armes, conforté dans sa conviction qu’une guerre d’usure viendrait à bout de
mon obstination. C’était mal me connaître. Durant les deux années qui allaient
suivre, il allait me mener la vie dure mais j’avais acquis la certitude qu’il
finirait par rendre les armes.
La leçon du massacre de Verden, ce sacrifice
inutile et qui pesait à ma conscience, n’avait pas porté les fruits que j’en
attendais. Je
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