La confession impériale
de
la Frise. Je choisis quant à moi de commander une autre colonne composée en
majeure partie de Burgondes et d’Alamans, afin de descendre le cours de la
Weser jusqu’à son confluent avec la Leine, à travers l’Angrarie.
Je me sentais une parenté avec les conquérants
de l’Antiquité : Sardanapale, Darius, Alexandre… Partagé entre la charité
naturelle qui dormait au fond de ma nature et la vindicte qui m’agitait, je
considérais d’un air froid les sévices que mes hommes infligeaient aux naturels
pour éradiquer les racines du mal : la haine qu’ils me portaient et leur
refus de la religion évangélique.
Un jour, près de la ville de Brunisberg, fou
de rage après la résistance que nous avait opposée une peuplade hargneuse, je
détruisis de ma main un sanctuaire païen installé dans un cercle de chênes
robustes, autour d’une fontaine, aux bords garnis d’idoles hideuses taillées
dans le bois. Malgré les lamentations des femmes, je détruisis ces misérables
effigies, fis combler la fontaine et abattre les arbres sacrés qui l’abritaient
et aux branches desquels pendaient de pauvres reliques : colliers et
bracelets de noyaux ou de pierres, linges souillés, grossières médailles et
monnaies de bronze…
J’en avais fini avec mon œuvre destructrice
quand je vis s’avancer vers moi une jeune femme assez belle malgré son allure
de sauvageonne. Mes soldats avaient détruit sa masure. Elle était nue sous des
peaux de loup mal ajustées.
Le visage grimaçant de fureur, elle se
débattait entre deux de mes fantassins. J’ordonnai qu’on la libérât. Loin de
m’en savoir gré, elle se mit à vomir des imprécations et des menaces. Je
l’écoutai patiemment quand soudain, sortant un coutelas de sa ceinture, elle
bondit sur moi. Je tirai mon épée et parvins à la désarmer en lui tranchant le
poignet d’un seul coup.
Elle tomba à genoux, regarda son moignon
sanglant, et, ramassant sa main tranchée, la lança vers moi. Je l’évitai et
allais ordonner que l’on achevât cette diablesse quand, secouée de frissons et
brandissant son bras amputé, elle se prit à entonner une de ces complaintes
barbares qui me remuent toujours le cœur. Elle ne cessa sa provocation que
lorsque je l’eus moi-même achevée d’un coup d’épée qui lui traversa la
poitrine.
Aucun remords ne vint sanctionner la cruauté
de ma riposte. À ma décharge, ivre de fureur, je ne m’appartenais plus.
J’aurais pu récidiver sur d’autres victimes, laisser libre cours à l’immonde
fureur qui me possédait, sans en faire contrition. J’en demande pardon à Dieu.
Il ne restait rien de vivant dans le village,
à part quelques gorets, des volailles et des moutons dont l’intendance fit son
profit.
Cette anecdote me remet en mémoire
l’altercation que j’avais eue, bien des années auparavant, avec une autre prêtresse
païenne. Je lui avais fait grâce ; elle m’en avait remercié par une
panière de fruits, mais les circonstances étaient différentes. Chez moi, la
haine n’avait pas étouffé la charité ; le jeune guerrier que j’étais alors
se nourrissait de généreuses illusions.
En poursuivant ma
route le long de la Weser, je fus la proie d’une résolution sans faille :
poursuivre ce régime de terreur jusqu’à ce que ces populations tombent à
genoux, et obtenir la reddition de Widukind. Si j’avais eu la certitude de le
trouver sur mon chemin, j’aurais poursuivi mon expédition au-delà des
frontières avec les Slaves de l’Est. Il était, me semblait-il, partout et nulle
part, invisible mais présent, toujours où nous ne l’attendions pas et jamais où
nous espérions le rencontrer. Il nous imposait une hantise permanente qui, à la
longue, minait notre moral.
Alors que je me
trouvais à Hollenstedt, grosse bourgade aux maisons de bois, je décidai, suite
à un semblant de résistance de la part des habitants, de l’incendier. Le
sinistre dura deux jours. La population, qui avait fui peu après notre
approche, assista à ce désastre du haut d’une colline.
L’idée me vint alors de pénétrer dans une
province du nord de la Westphalie, la Nordalbingie, qui ne nous avait pas à ce
jour manifesté son hostilité. C’était le lieu de passage de Widukind vers le
Danemark, au retour de ses campagnes.
Il s’agissait d’un pays d’immenses landes et
de marécages, hérissé de profondes forêts, avec de grasses prairies où les
aurochs venaient pâturer au
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