La confession impériale
ils auraient profité de ma faiblesse pour en
entreprendre d’autres, et il ne manquait pas, vers l’est, de territoires à
soumettre et de populations à convertir !
Bien décidé à étouffer dans l’œuf ce que je
considérais comme une rébellion, je mis à profit le calme relatif qui régnait
dans mes États pour frapper un grand coup, avec l’intention d’user de
l’intimidation plus que de la violence. Il m’aurait été relativement aisé
d’envahir la Bohême en écrasant les troupes péniblement rassemblées par le duc,
de m’emparer de Tassilon, de sa mégère et de leur couvée pour les exiler dans
un monastère, selon les méthodes traditionnelles. J’y répugnais.
En octobre de l’année 787, je formai trois
corps d’armée. L’un d’eux, sous la conduite du roi d’Italie, Pépin, devrait
franchir la frontière avec la Bavière par la vallée du Ticino ; le
deuxième, composé essentiellement d’Austrasiens et de Saxons repentis, mené par
un de mes officiers palatins, Walla, longerait le Danube jusqu’à la ville
d’Ingolstadt ; je prendrais la tête du troisième pour remonter le Rhin et
aller camper sous les murailles d’Augsbourg, sur la Lech, aux frontières de
l’Alamanie.
Son duché pris dans un étau, j’attendis la
réaction de Tassilon. Il aurait pu tenter un soulèvement général de son peuple
si mes troupes n’avaient arboré, mêlées aux miennes, les bannières du pape. À
peine avions-nous franchi la frontière, la population se porta vers nous avec
des marques réconfortantes de sympathie.
Je n’eus pas à attendre longtemps la réaction
de Tassilon.
Je vis s’avancer
vers nous, le long de la Lech, un groupe de cavaliers portant les couleurs de
la Bohême. C’était Tassilon en personne, venant me présenter sa soumission et
la cautionner par des présents. Il s’agenouilla devant moi, mit ses mains dans
les miennes (sans omettre les larmes de repentir !), comme il l’avait fait
avec mon père. J’acceptai sa reddition et lui demandai de la confirmer par des
otages ; il aurait jeté la moitié de son peuple à mes pieds si je l’avais
exigé ; je me contentai de son fils, Théodon, et de quelques officiers de
sa cour.
Contrairement à moi, il avait beaucoup et mal
vieilli. Sa barbe et sa chevelure avaient blanchi, sa parole était faible et
hésitante, ses mains agitées de tremblements et il ne se déplaçait que soutenu
par deux robustes gaillards.
Il m’avoua, ce que je ne pouvais contester,
qu’il avait toujours eu la plus grande considération pour moi, qu’il admirait
ma puissance et la sincérité de ma foi. À mots couverts, il me fit comprendre
qu’il n’était qu’en partie responsable des manœuvres hostiles qui avaient
abouti à sa soumission ; désormais, il allait « prendre les choses en
main », se libérer de « certaines contraintes » et renoncer aux
provocations.
Je fis mine de le croire. J’aurais pu exiger
qu’il me livrât l’auteur de ces défis, la duchesse Liutberge, mais elle s’était
bien gardée de l’accompagner.
C’est sans surprise qu’après avoir renvoyé
Tassilon dans son foyer, j’appris, quelques semaines plus tard, qu’en son absence
sa virago avait eu des entretiens avec le khan des Avars, Kudun, en vue de
faire cause commune contre moi…
L’année suivante, au
début du printemps, je convoquai une nouvelle assemblée de mes vassaux et de
mes comtes à Ingelheim, ville proche de Mayence. J’invitai Tassilon à s’y
montrer ; il s’y rendit avec de faux airs de pénitent, la croix sur la
poitrine, allongé dans un chariot tiré par des bœufs. Il me confessa ses
erreurs et jura qu’elles ne se reproduiraient plus. Je m’écriai :
— Comment pourrais-je te croire, alors
que tu as rompu tous tes serments ? Celui-ci ne vaut pas une guigne !
Sais-tu que je pourrais, sans le moindre remords, te faire exécuter pour
rébellion et trahison ? Il me suffirait d’un geste et d’un mot.
Je le vis blêmir, ses mains tremblotantes
crispées sur la croix. Il balbutia :
— Je sais que tu ne le feras pas,
Charles. Ce serait oublier que nous avons des liens de parenté.
— Tu les as trahis ! Je vais donc te
proposer un choix : te livrer au bourreau ou t’envoyer finir tes jours
dans un monastère. Que décides-tu ?
Il fit mine de perdre connaissance. J’appelai
mon médecin pour le ranimer. Quand Tassilon recouvra ses esprits, ce fut pour
dire qu’il préférait la
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