La confession impériale
brutales et le poids de mes armes, je ne peux renier mes
conquêtes. J’ai unifié des contrées disparates qui ne méritaient pas le titre
de nations, mis fin à de sempiternelles agressions contre les frontières de la
Francie et, ma plus grande fierté, semé les graines de la foi dans ces terres
stériles, ouvrant la voie à une civilisation qui rappelle celle de Rome ou de
Carthage. Dieu m’en tiendra compte.
Ma cour, la plus importante d’Occident, est ma
fierté. Chaque jour j’y reçois des visiteurs étrangers venus me rendre hommage,
des ambassades m’offrant, avec leurs présents, des promesses de paix, des
marchands à la recherche de nouveaux débouchés pour leurs produits. Parfois,
j’ai l’impression que mon palais d’Aix est une nouvelle tour de Babel où se
parlent toutes les langues du monde connu.
Le « nouveau roi David »… Cette
expression me flatte et me convient. Elle me donne l’impression de jouir d’une
renommée planétaire.
Ce qui me plaît plus encore, c’est l’immense
popularité dont je jouis partout où flottent les bannières à l’aigle noir que
je me suis choisies. Cet encens flatte mes narines plus que les effluves
d’herbes précieuses de Bagdad.
Le chariot auquel je
suis attelé peine à s’extraire de la fondrière. Les clameurs indignées des
hauts dignitaires de la sainte Église romaine claquent à mes oreilles comme un
fouet. Le bruit de ma vie dissolue l’exaspère, alors qu’il y aurait beaucoup à
dire sur les mœurs des pontes de la hiérarchie. J’écoute et laisse dire. Les
chiens aboient, la caravane passe…
Avancer, mais vers quoi, alors que les jours
me sont comptés ? Mon seul souci est le destin de cet Empire. Que
deviendra, après ma mort, ce conglomérat de nations disparates ? Lequel de
mes fils aura l’autorité nécessaire pour maintenir l’unité précaire que j’ai
instaurée de l’Atlantique à l’Elbe et de la Bretagne au pays des Avars ?
Cette œuvre est celle d’un seul homme. Lui disparu, quel destin pour cet
Empire ?
Deux de mes fils sont déjà en possession du
royaume que je leur ai concédé : Louis en Aquitaine et Pépin en Italie. Le
troisième, Charles, mon aîné, n’a pas reçu de couronne, du fait qu’il est
appelé à me succéder. Sa passion pour la guerre m’inquiète et me rassure à la
fois. On dit de ce prince, qui porte mon nom, qu’il a la « sévère
virginité des héros ». Un grand destin semble déjà se dessiner autour de
lui.
Mes trois fils s’entendront-ils autour de ma
dépouille ? Respecteront-ils la promesse d’une bonne entente que je leur
demanderai de respecter avant de disparaître ? Le passé tourmenté de la
Francie et les bouleversements qui, au cours des siècles, ont fait planer des
vautours au-dessus d’un cadavre pour aboutir à son dépècement, me donnent du
souci. À ma mort, en viendra-t-on là ?
Le duc Tassilon et
sa famille hors d’état de nuire, et la Bohême soumise à ma loi, j’ai connu des
ères de calme. Il reste bien, aux confins des mers froides, des peuplades de
Slaves Abodrites turbulentes, mais qui ne maltraitent pas mes missionnaires, et
avec lesquelles mes officiers entretiennent des rapports courtois. Les Danois
poursuivent leurs incursions sur les côtes, mais je ne suis pas en guerre
contre ces bandes de pillards.
Il reste que, sur les marches orientales, une
nation aux dimensions de la Bavière – le pays des Avars – me cause quelques
tracas en laissant ses hordes violer mes frontières. Je ne peux tenir pour une
simple manœuvre politique l’alliance que le khan Tudun a conclue avec
Tassilon ; j’y décèle des menaces plus graves, si bien que je suis en
droit de considérer ces gens comme des ennemis potentiels, et de m’en méfier.
On dit que les Avars
descendent des Huns, ces hordes vomies par l’Asie quatre siècles auparavant.
Ils avaient déferlé par vagues sur l’Occident avec à leur tête un chef suprême
dont l’histoire n’est pas près d’oublier le nom : Attila. Le général
romain Aetius avait arrêté ces guerriers de Gog et de Magog aux Champs
catalauniques, dans le nord de la Gaule, et avait contraint les survivants à
rebrousser chemin. Ils avaient mis fin à leur errance dans les plaines de
l’Europe centrale pour y faire souche et y créer un royaume des steppes.
J’eus jadis l’occasion de rencontrer ces
Barbares venus en ambassade. Ces étranges créatures, de petite taille, trapus,
au
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