La confession impériale
prise d’un accès
de fièvre que mon médecin avait été impuissant à juguler. Les remèdes des
sorciers frisons n’avaient pas eu plus de succès.
Après s’être débattue durant des jours contre
une fin inexorable, elle n’avait pas été la plus forte. J’avais tenté de lui
redonner vie en la serrant dans mes bras, en lui insufflant mon énergie, en
hurlant à ses oreilles des injures lui reprochant, comme si elle en avait eu le
pouvoir, de m’abandonner à une solitude qui me montrait les chemins de ma
propre mort.
Pour répondre à sa suprême volonté, je l’ai
accompagnée, cousue dans un linceul de cuir souple, en l’abbaye Saint-Martin de
Tours où elle eût aimé se livrer à une ultime confession, mais pour quelles fautes,
mon Dieu, elle qui était pure comme la rosée ?
Je demandai à Alcuin de rédiger son épitaphe
et assistai à l’inhumation dans la cathédrale, une croix sur sa poitrine, une
rose fraîchement cueillie accrochée à son chapelet, son visage fardé par la mort,
creusé et méconnaissable. J’ai gardé dans l’oreille, comme s’il annonçait ma
propre mort, le bruit lugubre du couvercle de pierre tombant sur le sarcophage.
À quelques jours de sa fin, moite de fièvre,
elle m’avait demandé en grâce de ne pas prendre une nouvelle épouse ; elle
voulait être la dernière. J’ai tenu parole. À près de soixante ans, je n’allais
pas me remettre en ménage au risque, après avoir vécu avec une Hildegarde et
une Liutgarde, de trouver une Fastrade pour me fermer les yeux…
Aujourd’hui, je mène
une vie à ma convenance et satisfais les derniers élans de ma virilité avec mes
concubines : Gersuinde, Régina, Adalinde et ma préférée, la mère de ma
petite Rothilde, Maltegarde. Cette gamine est la lumière de ma vie ;
chaque jour, avec ses rires et ses chansons, elle m’offre des galets coloriés,
des insectes morts, des fleurs qu’elle joue parfois à piquer dans ma barbe.
En dépit du tumulte perpétuel de mon
entourage, des bruits souvent assourdissants qui montent de la cour, des
jardins où jouent les enfants, des visites plus ou moins importunes, je sens la
solitude se refermer sur moi. Lorsque je me réveille de ma nuit ou de ma
sieste, de sommeils épais comme de la poix, j’ai l’impression de reprendre
place sur une galère.
Peu à peu, grâce à la présence d’Éginhard et à
ces souvenirs qui font le vide en moi comme un ressac, je sens se recréer
autour de ma personne des faisceaux de projets, de devoirs et de plaisirs qui
me raccrochent à la vie.
Une journée de plus à affronter, c’est un
nouveau combat à livrer contre des ennemis sournois, des situations équivoques
à démêler, avec comme armes des parades d’autorité, des jeux de faux-semblants
dans lesquels il m’arrive de me perdre. Plus l’on grandit dans sa carrière,
plus l’on s’expose à des flagorneries, et plus l’on suscite de pièges autour de
soi. Ma cour, j’en ai conscience, grouille de personnages ambigus, de janus qui
portent un sourire sur leur visage et un poignard dans leur manche.
Parenthèse :
— Il va sans
dire, mon cher Éginhard, que tu constitues une exception. Tu es pour moi un
modèle de fidélité, d’amitié et de sacrifice.
— Sire, c’est
un honneur de vous servir, et je vous en rendrai grâce jusqu’à la fin de mes
jours.
— Dis plutôt des miens, mon ami…
Un autre personnage
de ma cour me semble exempt de ces relents de complots que je subodore comme
les signes avant-coureurs d’un sinistre : Walla. Je serai appelé à
reparler de lui et de mon fils, Pépin le Bossu, son contraire.
3
Le pays des neuf cercles
1
Certains jours, la nuit parfois, j’ai l’impression
affligeante d’être attelé à un chariot lourd à crouler du fruit de mes
conquêtes, enlisé dans une fondrière, sans que je puisse voir le terme du
voyage se profiler à l’horizon. Sans la foi qui m’anime, je souhaiterais être
libéré du joug et crever sur le bord du talus.
Mon royaume a pris les dimensions d’un empire,
le plus vaste et le plus peuplé de l’Occident, depuis Rome. Sujet à des coups
d’État ou à des conflits familiaux, Byzance régresse. On me qualifie dans les
ambassades de « maître du monde ». L’idée m’est venue d’ajouter
l’Espagne à cet empire, mais l’Afrique aurait fait déferler sur mes armées des
hordes innombrables de cavaliers arabes, maures et sarrasins.
Malgré mes
massacres, mes lois
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