La confession impériale
donne des allures
d’intendante et en abuse parfois, forte de sa condition de concubine.
Gérald, le domestique chargé de ma toilette et
de ma vêture, s’avance à pas de loup, mains croisées sur la poitrine, et
s’informe de ma nuit. Je le rassure : elle a été paisible, mes douleurs
ayant marqué une trêve. Il fait glisser jusqu’à mon lit la grande cuvette posée
sur une tablette, procède à une toilette sommaire, peigne ma barbe abondante et
ma chevelure devenue rare. Il prend un soin particulier à mon
habillement : le caleçon, la chemise de lin, la robe de soie rouge à
franges brodées, la culotte et, pour mes jambes, des bandelettes. C’est la même
tenue que j’avais n’étant que roi ; devenu empereur, je n’en ai pas
changé ; l’habitude est ma seconde nature.
— Sire, dit Gérald, prendrez-vous votre
manteau ? La matinée est fraîche et humide.
— Je m’en passerai, lui ai-je répondu. Un
bain suffira à me réchauffer.
Après mon léger
repas du matin et une plongée dans la vapeur du bassin, je fais appeler Éginhard.
Il semble être de bonne humeur, certain qu’il aura sa journée libre, la mienne
étant occupée par la chasse.
— Sire, bredouille-t-il, dois-je vous
rappeler que vous avez promis une chasse au cerf aux envoyés du calife et qu’on
vient de rassembler la meute ?
— Pas de chasse au cerf, Éginhard, mais à
l’auroch ! Non, je ne l’ai pas oublié, mais il est un peu tard pour se
mettre en train. Nous allons reporter cette équipée à demain.
— Ils seront furieux, sire !
Regardez donc de votre fenêtre : ils vous attendent dans la cour.
— Eh bien, ils attendront !
Dis-leur… dis-leur que j’ai passé une mauvaise nuit et que je suis incapable de
monter à cheval.
Éginhard m’inspire
de la pitié. De petite taille qu’il était, il est devenu minuscule et
translucide comme un fantôme, à croire que le travail quasi quotidien que je
lui impose l’a vidé de sa substance. Pourtant, il lui arrive rarement de se
plaindre ; aux dires de mes médecins, il est de ces faux valétudinaires
qui survivent à tous leurs maux malgré les décrets impératifs de l’âge, encore
qu’il soit plus jeune que moi.
— Sire, ajoute-t-il, puisque vous
renoncez à cette chasse, allez-vous reprendre votre dictée ? Vous
comptiez, m’avez-vous dit hier, relater les cérémonies de votre couronnement.
Vous n’y avez pas renoncé, je suppose ?
— Pourquoi y aurais-je renoncé, mon
ami ? Cours chercher ton calame et ton encrier. J’ai beaucoup à dire et la
journée sera longue…
2
Les rideaux tombés sur les procès de Rome, je
m’apprêtais à retourner en Francie quand Léon m’avait retenu, si je puis dire,
par le bas de ma tunique, alors que je souhaitais me trouver assez tôt dans mon
palais pour fêter la Nativité en famille. Le pape en avait décidé autrement.
— Sire, me dit-il d’une voix grave, nous
sommes, vous et moi, dans une ville qui fut dans un lointain passé la capitale
des Césars. Le temps est venu d’accéder vous-même à la dignité impériale. Le
peuple de cette ville et de toute l’Italie vous porte aux nues. Il fallait en
venir là, et cela ne pouvait se faire qu’au cœur de la chrétienté, ici même,
dans la maison de saint Pierre.
Je restai perplexe, à me demander d’où venait
cette idée. Je doutais que Léon, vindicatif qu’il était, ait pu prendre cette
initiative après l’humiliation que je lui avais infligée. Il m’avoua qu’elle
venait de mon fidèle Alcuin qui, de son cabinet de Tours, gardait les yeux
ouverts sur le monde. De bonne ou de mauvaise grâce Léon avait donné son accord
à cette proposition. Je le lui refusai.
Devoir ma couronne impériale à ce personnage
suspect, trouver mon nom associé au sien dans les actes m’indisposait. Il
fallut une délégation implorante pour m’ébranler et, en fin de compte, me faire
céder. J’aurais dû, de toute manière, en passer par là un jour ou l’autre.
Autant que ce fût à Rome.
J’envoyai une estafette à Aix prévenir de mon
absence pour les fêtes et me préparai à l’événement le plus important de toute
mon existence.
Que cette cérémonie
eût lieu le jour de la Nativité me rappelait qu’à l’aube de la chrétienté, dans
un modeste village de Palestine, était né un enfant investi par Dieu le Père
pour faire régner la paix et la justice sur le monde. Je me considérais comme
son premier serviteur
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