La confession impériale
des chantres chanter des psaumes. Un membre de
l’assemblée me fit comprendre que ce complot du silence se justifiait par le
souci de ce sanhédrin de ne pas avoir à témoigner contre le Saint-Père.
Le lendemain, un évêque dont j’ai oublié le
nom prit la parole pour déclarer que « ni lui ni ses pairs ne pouvaient
s’arroger le droit de juger le siège apostolique, qui, étant à la tête de
toutes les Églises, ne pouvait être jugé par personne » ! Frémissant
de colère, je déclarai la séance close et les débats, si l’on s’y hasardait,
remis au lendemain.
Au cours de la troisième journée, Léon sortit
de sa réserve avec fermeté. Il se dit « prêt à se purifier par serment (se
sentait-il souillé ?) des fausses accusations qui l’accablaient ».
D’un pas lent et majestueux, il monta en chaire en pressant les saints
Évangiles sur sa poitrine, et lança d’une voix brisée par l’émotion :
— Je jure devant Dieu n’avoir pas commis
les péchés et les crimes que l’on m’impute. Je m’en remets à sa Sainte Justice.
C’est de Lui que doit venir la lumière, et seulement de Lui…
Allait-on le soumettre à une ordalie au feu ou
à l’huile bouillante, ou remettre ces assises sine die ? Des
murmures montèrent de la nef, couverts par le chœur des chantres entonnant le Te Deum. J’avais un caillot d’amertume dans la gorge en levant la séance,
avec l’impression d’avoir été frustré de ma justice. Éginhard m’en avait
averti : l’Église de Rome se montrerait solidaire contre ma volonté.
J’étais furieux et humilié.
Une dernière séance
allait être appelée à juger les auteurs de l’attentat, au premier chef Pascal
et Campulus, et leurs sicaires. Le jury se montra moins réticent et bien décidé
à faire justice. Leurs arguments réfutés, leur demande de pardon balayée, ils
furent condamnés à la peine capitale, à charge pour moi, le bras armé de
l’Église, de la faire exécuter.
Je suscitai un tollé lorsque, prenant ma
revanche, je décidai de leur accorder ma grâce. La sanction que je leur imposai
était bénigne comparée à leur faute : un exil en Francie et l’enfermement
dans un monastère de mon choix.
Les protestations violentes qui accueillirent
ma décision me firent l’effet d’un dictame. J’allais sans doute perdre
l’affection, véritable ou simulée, de Léon, mais il avait plus à perdre que moi
à une rupture.
Je ne m’attardai pas dans ce marécage
grouillant de batraciens et de reptiles et revins en Francie d’un cœur léger.
J’avais éprouvé une défaite en n’ayant pas fait éclater la vérité, mais j’avais
pris ma revanche. Léon n’allait pas l’oublier.
Quatrième partie
1
Carolus Magnus
1
Palais
d’Aix : printemps 804
En toutes saisons,
même au plus fort de l’hiver, quand mes serviteurs luttent contre
l’engourdissement, j’aime les bruits du matin.
L’activité du jour débute par un murmure venu
des cuisines où l’on ranime le feu, des claquements de portes, des psaumes des
moines venant de la chapelle palatine, et, dans la cour, des abois de chiens
qui réclament leur pâtée. Viennent peu à peu les sons de trompe, les saluts
tonitruants, les jurons qui accompagnent l’entrée par la porte principale des
chariots de paysans apportant notre subsistance.
Tandis que l’on déverse dans mes cuisines et
mes entrepôts des sacs de farine, des panières de poissons de la Meuse ou du
Rhin, des futailles de vins de Burgondie ou de bière de Mayence, Aboul-Abbas,
affamé, rappelle son gardien à ses devoirs par de longs barrissements.
Le premier personnage à être admis à pénétrer
dans ma chambre sans frapper à ma porte est ma servante favorite, Gerswinde.
Ombre dans la pénombre, elle glisse sur mes tapis, écarte les rideaux à demi
pour m’éviter un contact trop brutal avec la lumière. Un service réglé comme
l’horloge du calife… Elle reste un court moment à supputer le temps de la
journée puis me délivre ses conclusions.
— Sire, la matinée est encore fraîche,
mais la journée sera belle, avec un peu de vent du ponant…
Le mois de mai, ce matin, chante de tous ses
oiseaux dans mes jardins, et des cris des enfants qui se baignent dans le
bassin ou jouent sur les pelouses. Des effluves de lait chaud et de pain grillé
montent de l’office avec des éclats de voix et les chansons des servantes. Je
reconnais celle de Régina, autoritaire ; elle se
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