La confession impériale
vent. Nous reçûmes, mon fils et moi, des
cadeaux et des témoignages de fidélité de l’aristocratie romaine. Je renouvelai
à cette occasion mon serment de faire régner la paix et la justice à Rome, en
Italie et dans tout l’Occident.
Alors que Charles paraissait au comble du
bonheur, j’étais fourbu, sans voix et regrettais les humbles et brèves
cérémonies de Noël dans ma chapelle palatine, parmi les miens. Tout ce
cérémonial pesant et inutile, ces simagrées, la présence du pape, m’avaient
incommodé au point que je coupai au festin et me retirai dans ma chambre, où je
dormis d’une traite jusqu’au milieu de la matinée.
Il m’était en revanche agréable de voir
Charles se plier avec plaisir, sinon avec obligeance, à ces rituels lourds et
complexes. Ce jeune guerrier, qui avait toujours vu le cul en selle et l’épée
au côté, avait pénétré sans la moindre gêne dans une société qu’il connaissait
mal et qui l’éblouissait par sa nouveauté et son faste.
J’avais quant à moi l’impression d’avoir été
le complice involontaire d’une comédie qui, ayant débuté par un drame,
s’achevait en apothéose. J’avais compris que Léon s’était servi de moi pour
donner des assises plus fermes à sa mission apostolique. Ses sourires étaient
biseautés et ses hommages suspects.
Il me tardait de
partir, mais je dus prolonger mon séjour pour arbitrer des conflits entre ses
églises et des établissements monastiques d’Italie, alors que l’on aurait fort
bien pu se passer de ma présence. Au cours de ces audiences, il m’arrivait de
m’endormir ; un de mes officiers posté près de moi me réveillait lorsque
je ronflotais.
J’aurais aimé recevoir un billet de la dame
Amalia, mais elle n’avait pas daigné assister à mon couronnement et prolongeait
son séjour dans son domaine d’Ischia. C’est avec regret que je tirai un trait
sur son nom.
De retour à Aix, au
début du printemps, j’écoutai d’une oreille distraite Éginhard me révéler,
puisés dans des gloses absconses, des détails concernant ma dignité impériale. Étais-je
le maître del’ Empire des Romains ou del’ Empire romain ?
Grave question ! Il passait des heures à démêler l’écheveau de mes
nouveaux droits et devoirs, alors que ma nouvelle dignité, en apparence du
moins, n’avait rien changé dans mon règne.
Le seul problème capable de retenir mon
attention était de connaître la réaction de Byzance, réputée pour sa
susceptibilité en matière de politique. Pour l’impératrice Irène, je n’avais
été à ce jour que le roi des Francs, mais assez puissant – et inquiétant – pour
qu’elle sollicitât mon alliance par un mariage, ce qu’à Dieu ne plût !
Je me méfiais de ses caprices de femme.
N’allait-elle pas, humiliée par mon accession au titre d’empereur, jeter ses
flottes sur mes côtes de Provence et de Septimanie ?
Charles ayant
regagné ses résidences italiennes, j’étais resté quelques jours de plus à Rome
avant de reprendre la route pour prospecter une dernière fois les ruines
romaines qui me fascinaient et témoignaient de la précarité des gloires
terrestres. J’entretenais des dialogues muets avec les statues et les bustes
recueillis par des familles patriciennes pour en meubler galeries et jardins.
Certains des personnages cachés sous le marbre m’étaient connus, soit qu’Alcuin
ou Éginhard m’en eussent parlé, soit que j’en eusse pris connaissance par leurs
livres ou leurs exploits. J’éprouvais parfois l’illusion qu’ils allaient
retrouver la parole et accepter le dialogue, comme avec un égal.
J’avais poussé jusqu’à Spolète, ville de
l’Ombrie, dont un récent séisme avait fait une ruine, comme de Trévise.
J’assistai au spectacle affligeant de ces maisons et de ces monuments qui
avaient paru devoir durer une éternité et n’étaient plus que gravats et
poussière. Seuls étaient encore debout, mais lézardés, l’arc de triomphe et la
cathédrale San Salvatore. Des habitants éplorés, privés de vivres et de logis,
s’accrochaient à ma selle pour implorer un secours que je ne leur ménageai pas.
L’odeur des cadavres flottait partout, mêlée à celle des amandiers en fleur.
De retour à Rome, j’avais appris que le séisme
s’y était fait sentir et avait menacé d’ajouter des ruines aux ruines. Une
partie de la toiture de Saint-Paul s’était effondrée et de nombreuses
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