La confession impériale
nourrissait
des ambitions, c’était surtout, semblait-il, pour sa ville et ses résidences. À
peine sur le trône pontifical, il entreprit des travaux pour son palais de
Latran : installation des mosaïques du Triclinium, salle consacrée aux
repas des anciens Romains, revêtements de marbre, encadrement des portes par
des colonnes de porphyre et de marbre blanc… Il fit figurer sur la voûte de
l’abside l’effigie d’un Christ debout sur un rocher d’où s’écoulaient les
quatre fleuves du Paradis, et, au même endroit, sur les murs de mosaïques, ma
propre image encadrée par celles de Léon me remettant les bannières de Rome, et
de l’empereur Constantin, tous deux agenouillés, comme pour une adoration…
Loin de me réjouir, la description qu’Éginhard
me fit de cette œuvre due, me dit-il, aux meilleurs mosaïstes d’Italie me
plongea dans la confusion. Cela semblait relever de la plus basse flagornerie.
Je supportais mal l’attitude que l’on m’avait assignée : assis sur un
trône, pareil à un Christ en majesté, la tête auréolée et, ce qui est un
comble, doté d’une barbe que je n’allais adopter que plus tard !
Un événement
dramatique allait me révéler que les conseils prodigués au Saint-Père étaient
restés lettre morte. Ses mauvaises mœurs et son autoritarisme avaient suscité
une révolte de son entourage.
Au mois d’avril de l’année 799, alors que le
pontife se rendait à cheval, entouré d’une faible escorte, de Latran à
Saint-Laurent in Lucina, il trouva sur son chemin un groupe armé commandé par
des officiers de son palais, Pascal et Campulus. Ils l’obligèrent à descendre
de sa selle et, alors que la foule qui acclamait Léon se dispersait avec des
protestations et des cris d’effroi, ils le rouèrent de coups et le traînèrent
jusqu’à l’église la plus proche, Saint-Erasme. Là, devant l’autel, ils se
mirent en devoir de lui crever les yeux et de lui arracher la langue. Robuste
qu’il était malgré sa petite taille, et grâce au secours de son escorte et des
prêtres du sanctuaire, il parvint à se dégager et à prendre la fuite. Vite
rattrapé, il fut jeté, visage et habits en sang, dans une chapelle latérale.
Au cours de la nuit qui suivit, des ecclésiastiques
et des officiers fidèles vinrent le délivrer pour le ramener à Latran, plus
mort que vif, mais ayant échappé au supplice qui lui était réservé. Éginhard et
ses compagnons de route le conduisirent en lieu sûr pour assurer sa protection.
De retour à Aix,
Angilbert m’ayant informé de cet événement qui relevait d’un coup d’État plus
que d’un attentat crapuleux, je lui demandai des détails sur ce scandale.
— Sire, me dit-il, l’aristocratie romaine
n’a pu supporter de voir un personnage de basse extraction, élu « par
hasard », sur le trône de saint Pierre. De plus le pape a suscité des récriminations
en raison de ses mœurs douteuses. Il se conduit, dit-on, comme un satrape et un
despote, s’entoure de personnages à la moralité suspecte et de concubines.
— Ne s’agit-il pas plutôt de commérages
destinés à le perdre ?
— Il se peut, sire, mais il n’y a pas de
fumée sans feu. Un acte aussi barbare, unique à ma connaissance dans les
annales de Rome, doit avoir des raisons sérieuses.
Alors que je
séjournais dans la forteresse de Paderborn, sur la Lippe, pour préparer une
opération contre des Avars rebelles, le pape Léon se fit annoncer.
Je le reçus avec les marques habituelles de
courtoisie, le traitai selon son rang et le menai à la chapelle palatine pour
un office solennel donné en son honneur. Il m’en remercia avec effusion.
Au cours d’une promenade dans le parc arboré
qui entoure la forteresse, il me raconta l’attentat dont il avait été victime,
en s’abstenant de m’en révéler les motifs.
Le lendemain, je reçus la visite d’une
délégation de l’aristocratie romaine qui se proposait de me révéler les dessous
de cette affaire. Ils me mirent en garde contre ce « pontife usurpateur et
indigne », l’accusèrent d’immoralité, de scélératesse, de parjure et, pour
comble, d’« adultère ». Était-il donc marié ? Ils ne purent me
l’affirmer. En revanche ils se répandirent en détails si sordides qu’ils me
parurent suspects. Qui veut tuer son chien…
Léon ne resta que trois jours à Paderborn,
incommodé, semble-t-il, par la présence de ses détracteurs. Je le fis
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