La confession impériale
assister
pour son retour d’une forte escorte de cavaliers. Dans les brumes de novembre,
il pénétra dans sa ville par le pont Milvius, accueilli par une foule populaire
qui le conduisit, dans un concert d’alléluias, à son palais de Latran.
Il me déplaisait de
laisser le doute planer sur cette affaire. Cet attentat, aussi justifié fût-il,
était inconcevable. Il fallait que j’en eusse le cœur net.
L’idée de figurer dans les mosaïques de Latran
au côté d’un pape indigne m’était insupportable. Les religieux de ma cour me
suggérèrent de provoquer son abdication et sa retraite dans un monastère. Éginhard
m’en dissuada, disant que je manquais d’éléments irréfutables pour en venir là.
Il ajouta :
— Peut-être Léon a-t-il cédé à quelques faiblesses
de sa nature, mais que ceux qui n’ont jamais péché lui jettent la première
pierre ! Le détrôner serait jeter l’opprobre universel sur l’Église et sur
vous-même. On ne traite pas un pontife comme un simple abbé. Vous avez, sire,
envisagé son procès. Je ne saurais trop vous le déconseiller…
Ce n’était pas mon avis. Je le lui fis
sèchement comprendre et m’apprêtai à partir pour l’Italie.
Ce voyage allait me
donner une fois de plus, mais avec davantage d’intensité, la mesure de ma
popularité dans la Ville éternelle. Les raisons en étaient simples :
j’avais délivré la Péninsule de l’hégémonie des Lombards, fait souffler sur
elle un vent de liberté, ramené la paix et confirmé le caractère inviolable des
États de la papauté… Je devenais la réplique du Dieu vivant de la mosaïque de
Latran et avais déjà l’auréole des saints…
Léon vint m’attendre à Montana, à douze milles
de Rome, distance étudiée pour marquer l’importance qu’il attachait à ma
visite, un souverain ordinaire n’étant accueilli qu’à six milles.
Alors que mon âge et la fatigue auraient dû
m’interdire cette interminable chevauchée, je n’avais pas non plus traversé les
Alpes pour entendre des moines chanter mes louanges et le peuple brandir des
rameaux d’olivier. Je me présentais avec une ferme intention : tenter de
faire la lumière sur ces scandales et punir les coupables.
Lors de ma première visite au Saint-Père,
l’année 774, je n’avais pas eu droit à un tel déferlement d’enthousiasme. Selon
la coutume, j’étais entré dans Rome à pied ; j’eus cette fois l’honneur
d’y pénétrer à cheval.
J’allongeai ma route en passant par Ravenne
pour me faire accompagner jusqu’à Rome par mon fils, Pépin, et ne le regrettai
pas. Je restai quelques jours dans cette ville afin d’y retrouver mes émotions
passées. Malgré les mauvaises routes et la pluie qui tombait à seaux, je tins à
faire halte à Mantoue, à Vérone et surtout à Trévise, qu’un tremblement de
terre avait dévastée l’année précédente.
Le procès allait
débuter à Rome au début de décembre.
J’employai les quelques jours qui m’en
séparaient à visiter les colonies de Frisons, Lombards et Vénitiens qui
occupaient rues et ruelles entre Saint-Pierre et le pont Saint-Ange. Il régnait
dans ces quartiers une ambiance industrieuse intense et une saine émulation.
Autour, la splendeur glacée des Césars faisait contraste : une colonne à
chapiteaux corinthiens par-ci, un arc de triomphe par-là, des temples païens un
peu partout et des dallages intacts avec les sillons laissés par les charrois.
La nostalgie que je gardais de mon séjour en
compagnie de la dame Amalia m’incita à frapper à sa porte. On me répondit
qu’elle avait renoncé aux brumes méphitiques du Tibre pour passer l’hiver dans
l’île d’Ischia, près de Naples, où elle possédait un petit domaine dominant la
mer violette. J’aurais volontiers tenté de la retrouver, si le temps ne m’avait
été mesuré.
Réuni en la
basilique Saint-Pierre, le tribunal se composait de prêtres, de sommités
religieuses, de membres de l’aristocratie et de la noblesse romaines. J’aurais
aimé qu’Alcuin ou Éginhard fussent présents, mais le premier se trouvait à
Tours et le second était souffrant.
Les débats de ce premier jour ne risquaient
pas de me décevoir ou de me combler : il n’y en eut pas. Le tribunal resta
figé dans son mutisme, bien décidé, semblait-il, à ne pas soulever la moindre
controverse. On se contenta, en échangeant des regards gênés, d’écouter un
moine lire des textes sacrés et
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