La Cour des miracles
dans le secret de sa pensée.
Anne se résignait à l’
abdication…
Elle abdiquait, oui ! Mais elle n’abdiquait que sa royauté d’amoureuse. Quant à sa royauté politique, quant à son influence sur l’esprit du roi, à défaut de son cœur, elle allait tenter un suprême effort pour la conserver…
Anne doucement, s’approcha de lui, se pencha, et le baisa au front.
Ce n’était plus un baiser d’amante. Il y avait quelque chose de maternel dans ce geste apitoyé, dans ce baiser consolateur.
Elle murmura :
– Tu souffres donc bien, mon pauvre François ?
Le roi de France cacha sa tête dans le sein de cette femme qui se penchait sur lui et se prit à sangloter.
Et c’était d’une habileté réellement admirable, c’était presque beau et presque grand, ce sacrifice de l’amante, cette transformation d’Anne, duchesse d’Etampes.
Sous ces caresses, le roi, peu à peu, reprenait possession de soi-même.
Alors elle demanda :
– Que s’est-il passé ?
Et, tout naturellement, comme s’il eût parlé à un vieil ami, il raconta la scène de Margentine se dressant entre Gillette et lui.
– Et c’est sa mère ?… demanda la duchesse.
– Oui ! fit le roi.
– Et vous aimez cette jeune fille, François ?…
– Oui ! répondit encore le roi.
La duchesse frissonna. Cette passion d’inceste ainsi proclamée l’étourdissait. Mais elle jugea qu’il fallait se grandir avec la situation. L’essentiel, pour le moment, était de ne faire aucune allusion au lien de parenté qui unissait le roi à Gillette.
Anne s’assit près du roi, posa sa main blanche sur son bras, et d’une voix qui tremblait un peu :
– C’est un caprice de votre cœur, n’est-ce pas ?…
– Oui, un caprice, s’écria le roi, se raccrochant à cette perche qu’on lui tendait ; un simple caprice, ma chère Anne. Quant à mon cœur, au fond, il demeure vôtre pour longtemps… pour toujours, je pense !
– Eh bien, mon roi, mon amant, soyons assez amis l’un de l’autre pour poser nettement la situation. Vous aimez cette Gillette… et je veux croire, je veux être sûre que vous continuez à m’aimer tout de même… Hélas ! une pauvre femme aimante comme moi ne peut donner une dernière preuve de son amour qu’en se dévouant…
– Chère Anne ! s’écria le roi réellement ému.
– Mais, reprit-elle, si je me dévoue, mon roi, si… je vous aide à vous faire aimer, que me restera-t-il à moi ? Bientôt je serai complètement oubliée, et moi qui étais la première à votre cour, je serai tellement la risée des rivales que j’ai écrasées qu’il ne me restera plus qu’une ressource : me retirer en mon château et, dans une vieillesse déshonorée, attendre dans les larmes une mort que j’appellerai… que je hâterai peut-être…
– Anne ! Anne ! je vous jure, je vous donne ma parole de roi que vous resterez à ma cour la première, la plus honorée…
Il eut le courage d’ajouter :
– La plus aimée !…
Elle reprit, comme songeuse et suivant une idée à la piste :
– Ainsi c’est cette Margentine qui est l’obstacle ?… Eh bien sire, il faut supprimer l’obstacle.
– C’est à quoi je pense, répondit François I er d’une voix qui fit frissonner Anne, quelle que fût sa force d’âme.
– C’est un moyen… mais il est mauvais.
– De quel moyen parlez-vous ?
– De celui auquel vous pensez.
Ils se regardèrent et se virent pâles.
– Eh bien, oui ! fit violemment François I er , puisque cette femme me gêne…
Il acheva d’un geste.
– Et je vous dis, François, que le moyen serait mauvais.
– Pourquoi ?
– Parce que, couvert du sang de Margentine, vous inspireriez à Gillette une horreur telle qu’elle en arriverait à se tuer elle-même plutôt que de tomber dans vos bras.
Le roi demeura une minute pensif.
– C’est maintenant, dit-il enfin, que je reconnais toute la force de votre dévouement, ma chère Anne… Vous avez mille fois raison. Mais alors, achevez votre œuvre, guidez-moi, conseillez-moi…
– Il faut les isoler, dit la duchesse ; songer à les séparer, ce serait folie ; mais les isoler est facile, et une fois qu’elles seront seules, qu’elles ne pourront plus compter sur la crainte d’un scandale…
– Oui, je comprends… mais comment les isoler ? Où les conduire ?… Hors du château ? Jamais !
– Il y a le pavillon des gardes au fond du parc. Je me
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