La Cour des miracles
sans que l’éveil soit donné. Voici donc ce que je propose : demain, à une heure convenue… onze heures du soir par exemple ?…
– Onze heures… c’est entendu.
– A cette heure-là, vous arriverez à la petite porte. Alors, de deux choses l’une : ou j’ai amené avec moi Margentine et Gillette, j’ouvre, et l’évasion se fait sans difficulté, ou j’ai reconnu un danger grave à leur faire traverser le parc, et vous venez les chercher dans le pavillon. Il y a à peu près un quart d’heure de marche rapide de la porte au pavillon. Gillette et Margentine seront prêtes. Un quart d’heure pour revenir. En tout une demi-heure. Je n’ai pas besoin de vous dire que vous devez être bien armés et prêts à tout !
– Il n’y a pas d’autre plan possible, dit Ragastens résumant l’impression de ses compagnons… Une question, madame, voulez-vous ?
– Faites, chevalier.
– Fuirez-vous avec nous ?
– Non, dit-elle avec ce même accent de fermeté roide ; moi, je reste… il faut que je reste…
– Pourquoi ne pas fuir, madame ? insista Ragastens ému. Croyez-moi, la punition dont vous voulez sans doute frapper… quelqu’un…
– Ah ! vous voyez bien que vous savez mon secret !
– Non, mais je vois que vous préparez une vengeance. Laissez-moi vous dire que vous y risquez votre vie… Venez avec nous…
– Ma vie est plus que risquée ; elle est sacrifiée. Que je reste ou que je parte, avant peu je serai morte ; j’aime mieux mourir vengée… Un dernier mot avant de nous séparer, il serait prudent de ne point passer la journée de demain, ni même le reste de cette nuit dans cette auberge.
– Pourquoi ? demanda Triboulet… On est venu pour nous y arrêter, mais celui qui seul peut être chargé de la chose n’osera plus en tenter l’aventure, j’en réponds…
– Je ne comprends pas, dit Madeleine. En tout cas, voici ce qui est arrivé : il n’entrait pas dans mon plan, ce soir, de me rencontrer avec vous. J’avais préparé une lettre que j’espérais pouvoir vous faire parvenir. Cette lettre porte comme suscription : « Monsieur le Chevalier de Ragastens, à l’auberge du Grand-Charlemagne. » Quant à son contenu, le voici mot à mot : « Trouvez-vous demain soir, à onze heures, à la petite porte du parc. » Et j’avais signé : « Une amie de Gillette. » Cette lettre, si elle parvenait entre les mains du roi, serait toute une dénonciation… Or je viens de la perdre dans le parc.
– En ce cas, notre tentative de demain me paraît impossible.
– Pourquoi donc ? Le parc est immense. Il faut agir dès demain. Il faudrait un hasard extraordinaire pour que ce carré de papier, tombé dans l’herbe épaisse, soit trouvé avant huit jours, si jamais il est trouvé… Mais, enfin, pour plus de sûreté, ne restez pas ici… Et quant au reste, ne changeons rien.
– Vous avez raison, madame, dit Ragastens qui avait attentivement écouté ces explications. Nous allons quitter séance tenante l’auberge. Demain soir, à onze heures précises, nous serons à la porte dérobée.
– Adieu donc ! dit Madeleine.
Madeleine Ferron reprit d’un pas rapide le chemin du parc et arriva sans encombre à la petite porte. Là, elle recommença la manœuvre qui lui avait déjà réussi.
Mais comme elle refermait la porte et marchait vers le massif derrière lequel elle allait disparaître, la sentinelle se retourna et l’aperçut.
– Halte là ! cria-t-elle.
Madeleine réfléchit que si elle ne s’arrêtait pas, cet homme allait donner l’éveil. Elle s’arrêta donc et marcha droit à la sentinelle.
– Qui êtes-vous ? demanda le soldat.
– Officier du roi ! répondit-elle d’un ton rogue. Ne fais pas de bruit, imbécile ! Ne vois-tu pas que si je passe par la porte dérobée avec la clef de Sa Majesté, c’est que je ne dois pas être vu !
– Excusez, mon officier…
– Tu n’as rien vu, tu entends ! si du moins, tu tiens à ta peau !
– Je n’ai rien vu, mon officier.
– Ton nom ?…
– Guillaume le Picard…
– Bien… Je saurai si tu as fait ton devoir.
Elle s’éloigna tranquillement, tandis que la sentinelle reprenait sa morne promenade en grommelant dans sa barbe :
– Ces officiers sont toujours à courir la prétantaine… Heureusement que j’ai eu la bonne idée de ne pas donner mon nom !…
Madeleine arriva au pavillon des gardes sans autre rencontre. Elle frappa au
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