La Cour des miracles
et, tranquillement, pénétra dans le cercle des truands qui discutaient le sort du grand prévôt.
Une sorte de respect superstitieux s’attachait à la Gypsie.
Elle passait pour avoir des accointances avec certains démons ; elle avait en outre la réputation de lire comme à livre ouvert dans les étoiles, « ce que la nuit des temps renferme dans ses voiles » – pour employer la somptueuse expression de La Fontaine. Plus d’un truand qui n’eût pas redouté de se colleter avec le guet et qui, au besoin, eût marché à la potence avec un sourire de bravade, frissonnait en rencontrant la Gypsie, par les nuits obscures, et se hâtait de toucher quelque amulette capable de conjurer le mauvais sort.
Aussi, lorsqu’elle pénétra dans le cercle des chefs et qu’elle leva ses deux bras maigres comme pour réclamer le silence, on se tut aussitôt.
– Frères, dit la Gypsie, vous discutez pour savoir si vous devez tuer le grand prévôt…
– Donne ton avis ! lui cria-t-on.
– Mon avis est inutile. Votre avis à tous est inutile. Le grand prévôt n’est plus dans la Cour des Miracles. Il s’est évadé…
Un grand cri de rage et de fureur s’éleva.
Plusieurs truands s’élancèrent vers la cave où Monclar avait été enfermé ; Ils revinrent au bout de quelques instants en disant que la Gypsie avait dit la vérité.
– Ne cherchez pas, reprit la bohémienne, comment la chose a pu se faire. C’est moi qui ai ouvert la porte au grand prévôt et qui l’ai conduit hors le territoire du royaume d’Egypte.
Un silence de stupéfaction accueillit ces paroles, et la Gypsie se hâta de continuer :
– En délivrant le grand prévôt, c’est nous tous que j’ai sauvé. Les esprits m’ont révélé que la mort du grand prévôt serait le signal d’un massacre général. Cependant, si j’ai eu tort, je me soumettrai à la peine que vous m’infligerez. Mais même si cette peine doit être la mort, je mourrai heureuse d’avoir sauvé mes frères.
Nul n’éleva donc la voix pour réclamer une punition contre la Gypsie.
Et celle-ci put se retirer tranquillement.
Mais comme elle allait remonter sans son taudis, elle vit Lanthenay qui s’approchait d’elle en hâte.
– Pourquoi avez-vous sauvé cet homme ? demanda-t-il.
– Mais toi-même, tout à l’heure, n’as-tu pas parlé dans le conseil pour que Monclar fût épargné ?… J’ai cru que je te serais agréable, mon fils…
– C’est possible… Allez, mère Gypsie, pardonnez-moi ma colère.
– Ai-je donc vraiment si mal fait ? demanda-t-elle. Et sa voix avait une singulière douceur d’affection.
– Ne comprenez-vous pas, répondit sourdement Lanthenay, ne comprenez-vous pas que si j’avais pris cet homme, c’est que, moyennant sa vie et sa liberté, je comptais lui arracher la vie et la liberté d’un autre !
– Ah ! malheureuse, je n’ai point songé à cela !
– N’y pensons plus… Le mal est fait… il est irrémédiable… Mais, vraiment, si tout autre que vous eût fait ce que vous venez de faire, je ne sais si j’aurais assez de puissance sur moi pour m’empêcher de le tuer…
La colère et le désespoir de Lanthenay était d’autant plus effrayants qu’il contenait sa voix pour ne pas épouvanter la vieille femme.
Un geste violent lui échappa, et il s’éloigna brusquement en s’écriant :
– Il faut que je sois maudit !
La Gypsie était demeurée à la même place.
– Maudit ? gronda-t-elle alors entre ses dents. Qui te dit que tu ne l’es pas !
Le désespoir de Lanthenay fut immense.
Depuis l’avortement de la tentative insensée qu’il avait faite à la Conciergerie pour délivrer Etienne Dolet, il attendait avec une fébrile impatience que la Cour des Miracles fût attaquée.
Il était persuadé que le grand prévôt dirigerait en personne l’opération.
Son plan était simplement de s’emparer de Monclar.
Une fois le grand prévôt prisonnier il ne doutait pas qu’il pût lui arracher la liberté de Dolet.
On a vu que ce plan avait admirablement réussi dans la partie que Lanthenay pouvait à juste titre considérer comme la plus difficile.
Et on a vu comment, grâce à la Gypsie, il avait échoué dans la deuxième partie.
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Chapitre 4 BEATRIX
P endant que ces divers événements s’accomplissaient à la Cour des Miracles, le roi et son escorte, guidés par Alais Le Mahu, étaient arrivés devant la maison de la rue Saint-Denis où
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