La Cour des miracles
ni Français ni Italien et qui prétend nous donner des leçons !
Béatrix pâlit.
– Sire, dit-elle d’une voix étrangement ferme, le chevalier de Ragastens n’a jamais toléré que qui que ce fût au monde l’insultât impunément. Ce m’est un impérieux devoir de veiller à ce qu’il ne soit pas insulté en son absence. Mais comme je suis femme et que je n’ai aucun moyen d’empêcher quatre hommes d’être insolents je me retire pour ne pas en entendre davantage…
– Restez, madame, s’écria le roi. Vous venez de prononcer des paroles bien audacieuses ; mais selon vos propres expressions, vous êtes femme, et je n’userai pas, à Dieu ne plaise ! du droit de répression que je pourrais employer. Restez, je mesurerai mes paroles, et j’espère que vous ferez de même.
– Votre Majesté peut en être assurée, dit alors Béatrix. Le roi garda un instant le silence.
– Madame, reprit-il, tout à l’heure, dans l’enclos des Tuileries, je vous ai dit clairement que Gillette est ma fille… Me croyez-vous ?
– Je crois d’autant plus volontiers Votre Majesté que Gillette elle-même nous a raconté toute son histoire.
– Et sachant que Gillette est ma fille, sachant que je la cherche, le chevalier de Ragastens la soustrait, la cache, l’enlève !… Sans vouloir invoquer d’autres droits, je vous dirai, madame, que je n’ai pas agi ainsi à l’égard du chevalier lorsqu’il est venu me supplier de l’aider à retrouver son fils… votre fils, madame !
– Sire, le chevalier m’a dit la bienveillante réception que vous aviez bien voulu lui faire, et je vous garantis sa reconnaissance comme la mienne…
– Je n’en doute pas, madame ; mais le chevalier a une étrange façon de témoigner sa reconnaissance.
– M. de Ragastens a, tout à l’heure, demandé à Gillette si elle désirait être conduite au Louvre ; sur sa réponse affirmative, sire, le chevalier était tout prêt à vous ramener votre enfant…
– Et qu’a-t-elle dit ? fit le roi avidement.
– Qu’elle préférait mourir…
François I er baissa la tête.
– Me hait-elle donc à ce point ! murmura-t-il.
Mais bientôt la colère l’emporta à nouveau.
– Soit, dit-il. Le chevalier de Ragastens a emmené ma fille. Mais moi, je désire savoir en quel lieu il l’a conduite.
– Je ne le sais pas, sire.
– Vous le savez, madame ! Ou plutôt, tout dans votre attitude, dans le son de votre voix, dans votre regard embarrassé, tout me prouve que vous vous jouez de moi. Je vous prie donc de me répondre avec exactitude, sans quoi…
– Sans quoi, sire ?…
– C’est à vous, à vous seule, madame, que je m’en prendrais ! Donc, vous m’affirmiez que le chevalier n’est pas ici ?
– Oui, sire !
– Qu’il a emmené Gillette ?
– Oui, sire !
– C’est bien. Il séquestre ma fille ; moi je séquestre sa femme. Veuillez vous préparer à nous suivre, madame.
– Quoi, sire, vous oseriez…
– J’oserai tout ! fit violemment le roi. Je vous arrête, madame. Lorsque le chevalier de Ragastens me rendra ma fille, je vous remettrai en liberté, cela, je le jure, – mais je jure également que le chevalier ne vous reverra pas avant que je n’aie revu Gillette…
– Sire, c’est un indigne abus de force !
– Non, madame, c’est de la clémence.
– Sire, je ne céderai qu’à la force, et nous verrons si, en France, quatre gentilshommes armés auront osé porter la main sur une femme.
– Qu’à cela ne tienne ! s’écria le roi au paroxysme de la fureur.
Et il fit un signe à ses gentilshommes qui sans hésitation, s’avancèrent sur Béatrix.
Celle-ci poussa un cri.
A ce moment, une porte s’ouvrit, et Gillette parut.
La jeune fille, blanche comme un lys, mais ferme, s’avança vers le roi stupéfait.
– Sire, dit-elle, me voici prête à vous suivre…
– Malheureuse enfant ! s’écria Béatrix.
– Hélas ! madame… je suis condamnée. Mon malheur se doublerait de la certitude que j’ai pu causer le vôtre. Sire, continua-t-elle, une première fois je me suis rendue à vous pour sauver un homme qui se dévouait pour moi. Cette fois-ci, j’ose penser que l’arrestation du chevalier de Ragastens ne suivra pas de près mon entrée au Louvre, comme l’arrestation d’Etienne Dolet…
– Mon enfant, dit le roi agité d’une foule de sentiments, l’arrestation de Dolet est un fait politique. Quant au
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