La couronne dans les ténèbres
Pourquoi ?
— Pour rien.
Corbett fouilla dans son escarcelle.
— Prends ces pièces d’or et va prier ta donzelle de nous rejoindre à Inverkeithing. Si elle n’accepte pas cet or, dis-lui que je reviendrai la chercher avec un mandat d’arrêt. File, maintenant.
Puis Corbett se tourna vers un des coursiers de Burnell :
— Passez-lui votre cheval ! Vous, vous irez à pied !
Corbett poursuivit sa route vers Inverkeithing et alla droit à l’auberge où il avait fixé rendez-vous à Ranulf. Le clerc pouvait à peine réprimer sa joie, l’image floue qui s’était imposée à son esprit commençait à prendre forme. Les ombres disparaissaient, il tenait quelque chose de solide. Il s’installa à une table souillée de taches de graisse et se mit à attendre son serviteur avec impatience. Lorsque ce dernier arriva, accompagné d’une Lady Agnes toute troublée, Corbett lui ordonna brièvement de les laisser tous les deux seuls. Puis il pria Lady Agnes de s’asseoir sur le banc grossier en face de lui et lui versa un gobelet du meilleur vin que pouvait offrir l’humble estaminet.
— Lady Agnes, demanda-t-il en se penchant vers elle, qu’avez-vous voulu dire en racontant que la reine Yolande était une vierge qui faisait semblant d’être enceinte ?
Les joues de la dame de compagnie devinrent cramoisies et ses mains s’agitèrent nerveusement autour de son gobelet.
— C’était une plaisanterie, se défendit-elle. Un joli mot pour amuser Ranulf...
— Non, Agnes, l’interrompit sèchement Corbett. Vous rappelez-vous mon entretien avec la reine Yolande ? Lorsqu’elle m’annonça qu’elle était enceinte, vous avez ri ! Alors dites-moi tout ou je m’arrangerai pour que d’autres vous questionnent.
Lady Agnes mordit sa lèvre charnue et jeta un coup d’oeil anxieux autour d’elle.
— Je suppose que cela n’a plus beaucoup d’importance à présent, puisque cette petite peste de Française s’en va. Oh, continua-t-elle doucement, le roi Alexandre était follement amoureux d’elle, mais l’union ne fut jamais consommée.
— Comment ! s’exclama Corbett. Après cinq mois de mariage ?
— D’abord, la reine protesta qu’elle se ressentait encore de la traversée, puis ensuite que c’était les jours du mois où — elle hésita — les femmes saignent. Puis elle se plaignit des maîtresses du souverain et exigea qu’elles fussent définitivement chassées de la cour. Avant qu’elle ne l’accueille dans son lit, proclamait-elle, le roi aurait à prouver qu’il avait débarrassé sa Maison de ses concubines. Les semaines précédant la disparition soudaine du souverain, ce ne furent que prétexte sur prétexte et un refus total de consommer le mariage.
— Comment savez-vous tout cela ? Vous n’étiez pas amies intimes, comme je l’ai remarqué dès ma première visite à Kinghorn.
Lady Agnes confirma d’un signe de tête.
— Je haïssais cette petite garce capricieuse. Le roi Alexandre m’avait ordonné d’être une de ses suivantes ; par ennui, j’écoutais les conversations qu’elle avait avec la seule dame d’honneur française qu’elle avait amenée avec elle, une jeune fille nommée Marie. Elles croyaient que je ne comprenais pas le français, mais elles se trompaient : je parle couramment cette langue, car ma mère était française. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que l’on m’a demandé de faire partie de la suite de la reine. J’ai parfaitement saisi ce qu’elle vous disait lors de votre visite à Kinghorn, c’est pour cela que j’ai failli éclater de rire.
— Pour quelle raison, demanda Corbett, croyez-vous que la reine Yolande a refusé de consommer le mariage ?
Lady Agnes haussa les épaules.
— J’ai entendu parler de cas semblables... des jeunes filles redoutant la souffrance occasionnée par l’acte. Les couvents en sont pleins.
Elle rit de son propre sarcasme.
— Lady Yolande a très bien pu être effrayée par Alexandre, ou, ajouta-t-elle, elle préférait peut-être les femmes. Quand je l’observais en compagnie de cette fille, Marie, je me posais quelquefois des questions. Le roi, poursuivit-elle pensivement, presque pour elle-même, aurait pu la prendre de force, mais ce n’était pas dans sa façon d’agir. De sa vie, il n’a jamais fait violence à une femme. Je crois aussi qu’il l’aimait vraiment.
— Est-ce là tout ce que vous pouvez me dire ? insista Corbett.
— C’est
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